D'un point de vue financier, les théières de Gu Jinzhou ont pris beaucoup de valeur. Il y a une trentaine d'années, on pouvait en trouver à 20,000 USD environ. La plus-value est donc substantielle, mais vu l'attachement sentimental de ce collectionneur à cette théière, faite expressément pour lui, il semble peu probable qu'il la vende.
Cette histoire montre le gouffre qui peut exister entre la collection, la possession et l'usage d'une théière. Cette personne cultivée et amoureuse des théières Yixing sait comment distinguer le vrai du faux. (Dans sa collection, il a également de très bonnes fausses théières de Gu Jinzhou!). Il a certainement beaucoup de plaisir, de fierté, et un peu de peur, à savoir qu'il possède une des théières les plus convoitées au monde. C'est un accomplissement d'avoir pu en faire l'acquisition tout en devenant intime avec un des plus grands artistes chinois de sa génération. Il a su faire preuve de goût et de discernement dans ses choix.
Cependant, pour un amateur de thé, la collection de théières ne saurait être un but en soi, mais un moyen pour aller plus loin dans le plaisir de la préparation et de la dégustation du thé. Ne jamais utiliser une théière, c'est comme ne pas la posséder! C'est comme avoir une Porsche au garage et ne jamais la rouler. Ou bien avoir du très bon thé dans sa collection et ne jamais en boire car il y a toujours un thé qui risque de s'éventer si on ne le finit pas rapidement! (La vie est trop courte et fragile pour se contenter de médiocrité)
En cette période de plaisir estival, apprenons de ce collectionneur: utilisons nos meilleures théières et infusons nos feuilles préférées! Car le vrai propriétaire d'un bien est celui qui en a la jouissance!
Remarque: les photos sont des Yixing de ma collection personnelle.
Bonjour Stéphane,
ReplyDeleteBien dit.
Non seulement ce collectionneur n'est pas , symboliquement, vraiment propriétaire de la Gu Jinzhou, mais il la ruine en ne l'utilisant pas, non? Sa vraie valeur baisse, mais son prix monte...
Et non seulement il se prive de la jouissance de sa théière, mais il en prive d'autres, du coup quels que soient les autres mérites de cet individu, il fait preuve du fétichisme classique du collectionneur, et transforme ces objets, faits pour "vivre", en capital mort, inerte. D'ailleurs, c'est vrai aussi pour les arts picturaux ou la sculpture.
C'est quand on voit cela qu'on se dit qu'il faudrait ré-instituer la notion de propriété, et faire en sorte qu'elle soit comme tu dis, en fait, on pourrait appeler ça "usufruit radical" : est propriétaire d'une Yi xing celui qui en a l'usage.
Bonjour Vincent,
ReplyDeleteMerci pour ton commentaire.
Je ne pense pas qu'il va jusqu'à la ruiner en ne l'utilisant pas, mais c'est vrai que le meilleur entretien pour ce type de théière, c'est l'utilisation attentionnée régulière.
Qui sait? Peut-être va-t-il se mettre à l'utiliser plus souvent après cette expérience avec Teaparker?
On peut aussi retourner la question dans l'autre sens : le possesseur d'un objet de collection si rare ou si précieux que le-dit objet en perd sa fonction utilitaire pour devenir une œuvre d'art à part entière a-t-il encore seulement le droit moral de l'utiliser au risque de le faire irrémédiablement disparaitre ? Il suffit de regarder les "remouds" provoqués par le milliardaire shanghaien Liu Yiqian qui avait bu une gorgée de thé pour faire encore plus parler de lui dans la coupe « au poulet » Chenghua époque Ming qu'il venait d'acheter pour 38,4 Millions de dollars US pour se rendre compte que non ...
ReplyDeleteBonjour Tsubo,
ReplyDeleteTon exemple est fort bien trouvé!
Je renvoie à ce lien pour ceux qui ne connaitraient pas cette histoire:
The collector and the chicken cup
C'est vrai que cette coupe est mythique. J'ai d'ailleurs pu toucher un bris, une petite partie d'une telle coupe 'au poulet' de l'époque Chenghua. Je confirme que la douce texture et la finesse de cette coupe sont incomparables. Il en existe peu d'entiers, mais il y en a au musée du Palais National à Taipei. Aussi, personnellement, je trouve que ce milliardaire a eu raison de s'en servir. Son erreur, d'après moi, c'est de n'avoir pas pris de précautions spéciales et de traiter cette coupe comme une coupe normale. Sur cette photo, c'est surtout lui qu'on voit sourire, alors qu'il aurait fallu mettre la tasse mieux en valeur et en sécurité, en mettant sa main gauche sous la coupe pour plus de précaution, par exemple.
Même un vieux château a pour vocation d'être restauré pour pouvoir y vivre dedans. Il y a quelque chose de presque magique à pouvoir utiliser des objets d'un lointain passé. Certes, on ne les possède pas entièrement, car c'est notre responsabilité de nous en occuper pour les transmettre à la prochaine génération. Mais pour insufler l'amour de la conservation, il n'y a rien de tel que de les utiliser de temps en temps, avec le plus grand respect.