Tuesday, November 15, 2005

Apprendre le gongfu cha (6): Par-delà les sens

Réussir son gongfu cha n'est par qu'une jouissance, un plaisir sensoriel. Tout comme les bons romans ont plusieurs niveaux de lecture, le gongfu cha ne se déguste pas que physiquement. Il y a également une dimension culturelle, 'intello' si on veut, voire même une dimension spirituelle. Mais allons-y doucement:

1. Un sentiment de satisfaction

Réussir à faire un bon thé en gongfu cha demande savoir-faire et une bonne application pratique de nombreux principes théoriques. Ce n'est pas très différent de la plupart des sports. Et il est tout à fait possible d'organiser des tournois pour déterminer qui fait le meilleur thé (j'en ai déjà fait un petit!) La satisfaction d'arriver à tirer le meilleur des ses feuilles de thé est très semblable à la joie du joueur de tennis de réussir un passing le long de la ligne, à celle du joueur de foot qui marque un but ou bien à celle du coureur de fond qui court sur un nuage. On parle alors souvent de 'flow' en anglais, de flux. C'est comme si tous nos gestes coulaient (de source).

2. La dimension culturelle

Parlons maintenant du plaisir pour nos neurones les plus civilisés! Le thé est une porte pour de nombreuses disciplines humaines:

- La poterie: c'est par elle que de nombreuses civilisations ont commencé. Les petites théières en glaise furent des objets high-tech en leur temps. Remarquons que même aujourd'hui nous n'arrivons pas à faire de meilleures théières ou de bols que celles faites il y a des siècles. Certaines propriétés de supraconductivité ont été découvertes avec certaines céramiques. C'est donc tout un univers de matériaux, de feu originel, de couleurs et de formes qui trouve son accomplissement dans nos mains.

- L'histoire: à travers la potterie, mais aussi à travers les différentes techniques d'infusion et les différents thés nous sommes amenés à nous pencher sur le passé, les dynasties Tang, Song, Yuan, Ming et Qing pour comprendre le thé que nous faisons. Certains personnages, comme Lu Yu, ont joué des rôles primordiaux dans la connaissance du thé.

- La géographie et la géologie: D'où vient mon thé? De quel pays? De quelle région? A quelle altitude fut-il récolté? Sur quel type de terre ou de roche a-t-il poussé?

- La chimie: Quelle est la teneur en minéraux de mon eaux? Comment filtrer son eau pour l'améliorer? Ce thé contient-il des substances bénéfiques? Quel est l'impact de la température sur l'infusion? Pourquoi certains thés viellissent mieux que d'autres?

- L'agriculture: Comment plante-t-on et récolte-t-on le thé? Quelles sont les différentes façons de le fabriquer? Quels sont les types de thé, les espèces?

- Sociologique: Remarquons la place qu'occupe le 'tea time' en Angleterre, la cérémonie du thé au Japon... Tout comme l'alcool est un "lubrifiant social" (Kant, il me semble), le thé est plus qu'un apport d'eau au corps. Quand on le partage avec ses amis, sa compagne ou des inconnus, des liens se forment, une communion s'opère.

- Littéraire: Les membres du Cercle du Thé et de Temae compilent une biblio-thé, avec des extraits de livres mentionnant le thé.

- Culinaire: La diversité de goûts et de parfums fait que pour tout plat, toute occasion, il existe un thé harmonieux. C'est ce que j'appelle devenir sommelier en thé.

Bref, s'intéresser au thé n'est en rien nombriliste. Le thé peut être le point de départ d'études très diverses. La liste ci-dessus n'êtant en rien terminée.

3. La dimension spirituelle

Pour arriver à maitriser les paramètres d'un gongfu cha, nous avons vu que nous avons besoin de mettre tous nos sens en éveil et de nous concentrer sur nos gestes. Au fur à mesure que nous gagnons en expérience, ces gestes deviennent plus répétitifs, rituels. Nous pouvons les faire sans trop réfléchir (un peu comme on conduit une voiture). Dans le calme, tout notre être ne se concentre que sur le thé que nous faisons. Le choix d'un bon thé, l'harmonie des ustensiles, la disposition des objets, la propreté de la table... tout participe à la concentration et la sérénité.

La plupart des méthodes de méditation emploient ces mêmes principe: calme, concentration et rituel. Ainsi, nous apprenons à écouter notre vrai Moi, qui parle du fond de notre coeur. Détaché de tout besoin, de tout désir, plein du bonheur simple du thé, nous touchons alors l'idéal chinois du zhen ren, un vrai homme (ou femme).

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