Lecteurs assidus de mon blog, Philippe Coste et Lisa, son amie chinoise, ont commencé des repérages dans le Yunnan pour un futur travail photographique sur le thé. Après un reportage sur la fabrication du puerh cuit et un autre sur les théiers du Yunnan, ils nous proposent ici leurs impressions très personnelles sur la fabrication du puerh cru:
"Le thé Pu-erh
Tout le thé Pu-erh est produit à partir d’un même matériel de base, un thé vert non oxydé, que l’on appelle Mao Cha. Pressé en galette sans autre traitement il deviendra du thé Pu-erh vert (ou cru). Mis à fermenter pendant de longues semaines il servira à produire du thé Pu-erh noir (ou cuit).
La préparation du Mao Cha (thé vert brut)
La cueillette des feuilles de thé s’effectue généralement le matin. Il s’agit d’une opération complètement manuelle.
Pour obtenir des feuilles d’un bon grade on récoltera un bourgeon et deux feuilles.Une fois cueillies, sous l’action d’enzymes contenues dans les feuilles elles-mêmes, les feuilles de thé vont spontanément s’oxyder. Si on n’arrête pas ce phénomène naturel, il entrainera une altération de la qualité (diminution de la force du thé, perte de goût). Pour ralentir le processus il faut stocker les feuilles au sec, bien aérées, avant de procéder, sans perdre de temps, aux étapes suivantes :
Tuer le vert
Afin de stopper l’activité enzymatique et prévenir l’oxydation des feuilles fraichement cueillies, il faut réaliser ce que les chinois appellent tuer le vert (pinyin : sha qing)! Il s’agit tout simplement d’un chauffage rapide des feuilles qui va permettre de détruire les enzymes responsables de l’oxydation. Le chauffage va aussi permettre d’éliminer une partie de l’eau contenue dans les feuilles fraiches.
Le malaxage des feuilles
Une fois que l’on a arrêté l’activité enzymatique, il faut malaxer les feuilles de thé dans le but de casser les fibres végétales. Ceci permettra une meilleure évaporation de l’eau contenue dans les feuilles et facilitera le séchage des feuilles. En cassant les fibres végétales, un bon malaxage va permettre aux feuilles de libérer plus facilement leurs saveurs dans l’eau pour une meilleure infusion du thé.
Dans les villages, ces deux étapes sont réalisées manuellement. Le chauffage se fait sur une plaque métallique au dessus d’un feu de bois.
L’équipement utilisé doit être réservé exclusivement au chauffage du thé. Si ca n’est pas le cas, et si le thé est chauffé dans des ustensiles de cuisine, son goût en sera fort altéré.
Apres le chauffage, le malaxage à la main est une étape longue et fatigante.
De nos jours, le traitement des feuilles (production du Mao Cha) s’effectue souvent dans de petits ateliers où l’on réalise chauffage et malaxage des feuilles de manière mécanisée. Pour le chauffage, on utilise un long cylindre rotatif (chauffé au bois ou à l’électricité) dans lequel les feuilles passent rapidement.Une fois chauffées, les feuilles sont ensuite chargées dans une machine ou elles seront malaxées longuement.Beaucoup trouveront le traitement mécanique des feuilles moins romantique que le traitement manuel effectué dans les villages. Mais au niveau de la qualité, il s’agit sans aucun doute d’un progrès. La mécanisation permet le traitement dans de bonnes conditions de plus grandes quantités de feuilles. Avec les méthodes manuelles il est difficile de contrôler le chauffage des feuilles. Et le malaxage à la main, très fatigant, ne dure pas toujours suffisamment longtemps.
Une fois ces deux étapes réalisées, il ne reste plus qu’a faire sécher le thé. C’est le séchage au soleil qui donnera les meilleurs résultats.
Les feuilles de vieilles plantations sont en général réservées à la préparation de thé cru. Pressées en galettes, le thé pourra être consommé rapidement ou gardé de nombreuses années pour le laisser vieillir et se bonifier. Les feuilles issues de plantations intensives sont plutôt destinées à la fabrication de thé cuit.
En conclusion, nous aimerions revenir sur certains des éléments qui sont généralement évoqués lorsque l’on parle de qualité du thé Pu-erh. La tendance générale du marché est de valoriser le thé issu de vieux théiers poussant à des altitudes élevées, et qui a séché au soleil. Ceci correspond bien aux méthodes traditionnelles de production qui sont toujours en pratique sur la plupart des montagnes à thé du Yunnan.
Mais, nous voudrions faire remarquer que, si sur ces montagnes là les paysans possèdent le meilleur matériel de base (les feuilles de théiers de vieilles plantations), ils n’ont pas tous les connaissances techniques leur permettant de tirer le meilleur parti de leurs feuilles de thé. De plus, ils ont à faire face à de nombreuses contraintes dont certaines peuvent parfois nuire à la qualité du thé :
- L’altitude et l’éloignement des vieux théiers par rapport aux villages fait, qu’une fois cueillies, les feuilles doivent souvent subir de longues heures de transport avant de pouvoir être chauffées puis malaxées. Ce qui leur laisse parfois le temps de commencer à s’oxyder.
- Dans les villages isolés il y a rarement les infrastructures permettant un chauffage et un malaxage mécaniques des feuilles. Ces opérations, lorsqu’elles sont effectuées manuellement, ne garantissent pas les meilleurs résultats, ni une régularité dans le traitement des feuilles.
- En saison des pluies le séchage au soleil ou en air libre ne peut pas toujours être réalisé dans de bonnes conditions.
- Faute de bâtiment réservés au seul stockage des feuilles, celles-ci, en attendant d’être vendues, seront le plus souvent stockées dans les habitations villageoises. Dans ce cas, elles risquent de s’imprégner des différentes odeurs ménagères, en particulier l’odeur de fumée des foyers domestiques.
La culture intensive des théiers produit des feuilles de moins bonnes qualités que celles issues des vieilles plantations. En revanche, il y a des chances que celles-ci pourront plus facilement bénéficier de meilleures conditions de traitement.
On comprend donc que l’origine des feuilles ne peut à elle seule garantir de la qualité du produit fini. Comme le vin, un bon thé est le mélange harmonieux d’un terroir, d’un produit issu de ce terroir et d’un savoir faire technique."
Je me répète, mais j'adresse à nouveau un grand merci à Philippe pour nous avoir fait partager ses superbes photos et ses découvertes du thé au Yunnan. Ces 3 reportages sont fascinants et nous permettent de mieux comprendre les conditions dans lesquelles le puerh est fait.
Je signale aussi cet article dans le International Herald Tribune sur le puerh.
je me joins à stéphane pour les remerciements, cette série d'articles est fascinante, elle nous fait rentrer dans le monde du pu er... Magnifique. un grand MERCI!
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