Monday, March 27, 2023

Empereur Huizong et le thé


Comme pour A la Recherche du Temps Perdu de Proust, j'ai récemment fait plusieurs articles (en anglais) pour commenter les nombreuses mentions du mot 'thé' dans la biographie de l'empereur Song Huizong.de Patricia Buckley Ebrey (aux éditions Harvard University Press). Le prisme du thé permet d'éclairer de nombreux aspects de la vie du monarque et de sa politique. Le commerce du thé avec le Tibet sert à fournir des chevaux à l'armée, le monopole du thé et du sel permet d'augmenter les revenus de l'Etat, le thé sert aussi de tribut aux pays du Nord en contrepartie de la paix qui règne...

Je vous invite donc à visionner cette vidéo que j'ai réalisée en français sur l'empereur Huizong, vu au travers du thé!

Si la littérature chinoise vous intéresse, contactez-moi, car je vais bientôt commencer la lecture du roman classique 'Au Bord de l'Eau' de Shi Nai An (version Pléiade) qui a lieu durant le règne de Huizong. Cela vous permettrait de lire ce roman en groupe et de partager vos notes de lecture.

Friday, March 24, 2023

Why try this Osmanthus scented Baozhong?

Osmanthus flowers in San Hsia

Fans of high quality loose tea have a natural suspicion towards artificially scented teas! (Pun intended) In most cases, this suspicion is warranted. There are so many 'teas' on the market that barely deserve this name, because 99% of their aromas are completely artificial, lab engineered and chemically produced. The tea leaf is just there to hold and release the artificial scent of milk, strawberry, peach... and fool customers to think that it's natural.

Flower scented teas are very different from such artificial teas. Instead of using chemical additives or oils, the scent of the flower is transferred by a prolonged contact between the flower and the tea. This is a traditional and natural scenting technique already used in Taiwan over 100 years ago. Chen Zhao Jun, a Taipei merchant who built the Taipei Story House, specialized in selling flower scented Baozhong to other South East Asia countries. So, this Osmanthus scented Baozhong is just as traditional as unscented Baozhong!   

The osmanthus tree grows on the tea plantation

Another critique of flower scented teas is that if the tea were top notch, it wouldn't require the addition of flower fragrances! Indeed, this is very often the case. Most cheap flower teas don't use very good tea leaves, but the flower scents help to hide this fact to some extent, especially for people who focus on the nose instead of the palate. This winter Osmanthus Baozhong is made from the organic tea plantation that produces my spring BiLuoChun. And what's special is that the osmanthus flowers also come from this plantation. (These flowers are most active during the winter season. Now there are few left on this pictures). This is actually a good fit, because winter Baozhongs are usually quite powerful and sweet, but less fragrant than spring Baozhongs. So, the Osmanthus scents do help to improve on a weakness in this tea, while still preserving the round taste of the tea.
If you are not familiar with osmanthus' scents, I particularly recommend that you taste this Baozhong, because osmanthus is a scent I often detect in unscented Taiwanese Oolongs and Baozhongs. Flower scents are often difficult to describe, because they are so light and evanescent. So, it's very useful to have osmanthus scents in your memory in order to recognize it (but also jasmine, lily flower...)

And if this is still not convincing you to add this delicious, natural, organic, traditional osmanthus scented Baozhong to your next cart, I have now discounted it by 10%! 


Tuesday, March 21, 2023

Le thé dans Le Temps Retrouvé, le livre VII de A la recherche du temps perdu, de Marcel Proust


Nous arrivons à la conclusion de A la Recherche du Temps Perdu avec Le Temps Retrouvé! C'est donc une histoire qui finit bien, et elle finit avec 8 mentions du mot 'thé'! Si j'ai bien calculé, cela fait 91 mentions dans toute l'oeuvre (3467 pages). 

Retrouvez mes études antérieures en cliquant sur les liens suivants: Du Côté de chez Swann, A l'Ombre des Jeunes Filles en Fleur, Sodome et Gomorrhe, La Prisonnière, Albertine Disparue.

Voyons la signification du thé dans ce dernier livre et essayons de conclure cette longue étude d'une des plus grandes oeuvres de la littérature française. Comme avec un bon thé, je ne peux rester de marbre après la lecture d'un tel chef d'oeuvre et il y a beaucoup de souvenirs qui resteront avec moi le reste de ma vie. C'est d'ailleurs cela le thème de ce livre, retrouver des souvenirs personnels et arriver à les faire revivre dans le présent afin de goûter à un semblant d'éternité.


Page 33

"Quant à la charité, en pensant à toutes les misères nées de l'invasion, à tant de mutilés, il était bien naturel qu'elle fût obligée de se faire 'plus ingénieuse encore', ce qui obligeait à passer la fin de l'après-midi dans les 'thés' autour d'une table de bridge en commentant les nouvelles du 'front', tandis qu'à la porte les attendaient leurs automobiles ayant sur le siège un beau militaire qui bavardait avec le chasseur, les dames à haut turban."

Commentaire: Le 'thé' est donc la réunion mondaine de la fin de l'après-midi. Pendant la première guerre mondiale, l'auteur souligne le contraste entre les mutilés du front et le bon temps que prenait la haute société à discuter des nouvelles du front. Aussi, pour ne pas avoir mauvaise conscience ou prêter à la critique extérieure, il était de bon ton de faire quelques actions de charité lors de ces 'thés'.


Page 42

"Avant l'heure où les thés d'après-midi finissaient, à la tombée du jour, dans le ciel encore clair, on voyait de loin de petites tâches brunes qu'on eût pu prendre dans le soir bleu, pour des moucherons, ou pour des oiseaux."

Commentaire: Les thés finissaient donc à la tombée du jour, avant le dîner. Et ces tâches brunes sont des aéroplanes.


Page 155-156

"Maman allant justement à un petit thé chez Mme Sazerat, réunion qu'elle savait d'avance être fort ennuyeuse, je n'eus aucun scrupule à aller chez la princesse de Guermantes."

Commentaire: Les 'thés' comme réunions mondaines n'avaient pas tous la même importance sociale. Ici, on voit qu'il est plus valorisant d'aller chez la princesse de Guermantes que chez Mme Sazerat. La personne qui invite est un facteur déterminant dans l'importance du thé, mais la liste des invités, prestigieux ou non, y est pour beaucoup aussi. Ne pas s'y ennuyer compte pour beaucoup dans le prestige d'un 'thé'!

Page 172

"Toujours, dans ces résurrections-là, le lieu lointain engendré autour de la sensation commune s'était accouplé un instant, comme un lutteur, au lieu actuel. Toujours le lieu actuel avait été vainqueur ; toujours c'était le vaincu qui m'avait paru le plus beau ; si beau que j'étais resté en extase sur le pavé inégal comme devant la tasse de thé, cherchant à maintenir aux moments où il apparaissait, à faire réapparaître dès qu'il m'avait échappé, ce Combray, ce Venise, ce Balbec envahissants et refoulés qui s'élevaient pour m'abandonner ensuite au sein de ces lieux nouveaux, mais perméables pour le passé."

Commentaire: Ce passage est central à toute la Recherche. Le thé auquel il fait référence est celui de la madeleine (cf. tome 1) qui, dégustée avec du thé, lui rappelle si bien une émotion ressentie pendant son enfance et arrive ainsi à recréer la sensation de revivre ce moment passé. Cette fois-ci, il lui arrive une expérience similaire avec cette sensation d'un pavé inégal qui lui rappelle d'autres souvenirs de son passé. Ces sensations particulières arrivent à faire revivre le passé en lui et il est boulversé par cette possiblité de retrouver le Temps qu'il croyait perdu.


Page 255

"Bloch chez le prince de Guermantes savait parfaitement l'humble milieu juif où il avait vécu à dix-huit ans, et Swann, quand il n'aima plus Mme Swann mais une femme qui servait du thé chez ce même Colombin où Mme Swann avait cru quelques temps qu'il était chic d'aller, comme au thé de la rue Royale, Swann savait très bien sa valeur mondaine, se rappelait Twickenham ; n'avait aucun doute sur les raisons pour lesquelles il allait plutôt chez Colombin que chez la duchesse de Broglie, et savait parfaitement qu'eût-il été lui-même mille fois moins 'chic', cela ne l'eût pas rendu un atome davantage d'aller chez Colombin ou à l'hôtel Ritz, puisque tout le monde peut y aller en payant."

Commentaire: S'il peut apparaitre chic, de nos jours, d'aller dans un hôtel cinq étoiles, pour les contemporains de Proust, il n'y avait aucun prestige à aller quelque part où il suffit de payer pour entrer. Le vrai chic, c'est d'obtenir une invitation qui ne se monnaie pas par l'argent, mais par le prestige social et ses connexions.  


Page 283

"La Berma, comme je l'ai dit, avait convié quelques personnes à venir prendre le thé pour fêter son fils et sa belle-fille. Mais les invités ne se pressaient pas d'arriver."  

Commentaire: Ce thé va prendre une tournure tragique pour la Berma, un vieille actrice passée de mode. En effet, au même moment a lieu un autre thé, plus prestigieux, au cours duquel se produit une autre actrice concurrente. Seul un invité viendra chez la Berma, mais sans rester longtemps, car il veut rejoindre l'autre réception. Même son fils et sa belle-fille iront et la laisseront seule, malheureuse au point de mourir. 


Page 307

"Venez prendre une fois le thé avec moi, je vous raconterai comment j'ai fait la connaissance de M. de Forcheville."

Commentaire: Toute la Recherche est un récit de la vie du narrateur. L'action se déroule donc surtout au passé ou au présent. D'ailleurs, ce dernier livre se déroule quand le narrateur et tous les personnages ont considérablement vieillis, proches de la mort, voire morts. Mais avec cette dernière mention du thé, nous nour projettons dans l'avenir! Mais le but de cette réunion future sera de discuter le passé! Voici qui résume bien l'interconnection que Proust cherche à opérer en gommant la notion de Temps au moyen de sa Recherche, au moyen de son art littéraire.

Conclusion: Je tiens encore une fois à remercier Olivier Delasalle de m'avoir embarqué dans cette lecture de la Recherche. Cela nous a pris un an à raison de 60 pages environ par semaine. Il m'a fallu un peu de temps pour m'habituer au style et surtout aux phrases parfois interminables de l'auteur. Mais leur longueur restait digeste, car ses phrases ne sont pas lourdes, mais dotées d'une musicalité qui donne souvent envie de les prononcer à voix haute. Comme un bon puerh, Proust arrive à rendre harmonieux des choses très denses et complexes. Et il le fait avec un semblant de facilité qui va croissant d'un livre à l'autre. 

Ce livre est aussi l'histoire de la fin de l'aristocratie des provinces de la fin du XIXe siècle et remplacée progressivement par la haute bourgeoisie parisienne. Le thé peut alors symboliser ce moment de connivence, de cooptage et d'oisiveté ostentatoire si l'on veut en faire une critique sociale. Ces thés rythment la vie sociale des élites, car le thé était un produit exotique, rarffiné et cher. 

Cela n'a pas grand chose à voir avec notre pratique actuelle du thé, centrée surtout sur le perfectionnement d'une technique de préparation (le gongfu cha) dont le but est de produire la meilleure infusion possible pour désaltérer le corps et purifier l'esprit. Le gongfu cha est-il un divertissement, un luxe, un moment de repos et d'évasion, un plaisir des sens ou un moment de création d'harmonie avec le Chaxi? Il a la possibilité d'être tout cela selon la manière qu'on l'aborde. Disons que l'aspect social est bien moindre, puisque traditionnellement le gongfu cha se pratique à trois seulement afin que la conversation reste intime et ne prenne pas le pas sur la dégustation. Dans Du Côté de chez Swann, le thé se pratique aussi à deux et est alors l'occasion de rendez-vous amoureux entre Swann et Odette!

Mais l'expérience sensorielle la plus importante du thé est avant tout personnelle. En cela l'épisode de la madeleine de Proust résonne profondément avec ma propre expérience du thé. Le narrateur a su décrire ce processus bizarre qui nous arrive quand une odeur ou un goût déclenche un flash back, un sentiment de déjà vu ou déjà bu! On a du mal à mettre des mots sur ce que l'on ressent, mais on sait que cela nous rappelle quelque chose. Il faut alors faire le vide en soi, lâcher prise et faire la connection avec son passé. Et avec certains thés, il m'est arrivé à remonter très, très loin dans le temps! En cela, le thé de Proust est à la fois central à sa Recherche et à la nôtre!


Thursday, March 16, 2023

Three encounters in a San Hsia tea plantation

A phone call to my farmer, last week, informed me that the first spring harvests of San Hsia BiLuoChun were bout to start! So, I came unannounced on late Tuesday afternoon, so that I would catch the sunset light and maybe some fresh leaves! Unluckily for me, after three days of harvests, this was a day off. I should have been alone in the plantation, but, by coincidence, the old farmer was on his way to inspect the trees, carrying a saw. He used to make the tea, but has transferred this work to his son and wife several years ago already. But he likes to help here and there and is definitely not the kind of guy who would sell the property and cruise around the world with the proceeds!   
So, I decide to follow along and make some small talk about the subject that interests me most, the weather and how it's affecting this year's tea. He confirmed that the winter had been quite cold, long and dry. In the past, thanks to Taiwan's island climate, it was often possible to start harvesting in late February. This year, the harvests have finally begun, but the quantity of leaves is quite limited. He hopes for more rain, for a larger harvest. This rain will usually later in the season. In the meantime, we can enjoy more concentrated aromas in the leaves and more freshness, thanks to the cooler temperatures.
The farmer shows me the easiest path to walk to the top of the plantation. I follow his steps complimenting him on his good shape. It's a steep climb and his breathing barely increases in volume. We reminisce about how we first met, thanks to his other son who was selling tea in a day market in Taipei's HuLin street, near Taipei 101, some 20 years ago... Time has flown for him and for me... 
He's showing me the highest spot of the plantation, still carrying the saw, but not using it. The sun is slowly setting on the plantation and it's already quite dark under these trees. I have to go back to where there's light! This time our paths diverge. He's using a small path that goes around the plantation, but I continue to walk in the plantation in order to take more pictures. 
At the foot of the hill, there's strange spot with few tea trees and several trees with flowers, even a mulberry tree! These flowers fill the air with wonderful perfumes that are absorbed, to some extent, by the BiLuoChun leaves.

Next to this tree, under the plantation, you can see some holes in the soil in the picture below. The soil seems freshly removed and I had noticed several other holes in the plantation. What animal could be living here? I must have scared one such animal by coming so near, because I heard a large noise in the grass and then the feet of a beast running away. Then, I recognized my second encounter. It was a wild, brown large hare or a rabbit. I only caught a glimpse of it as it was sprinting towards the top of the plantation! What a surprise! I had been bitten by a mosquito a few minutes ago, a sure sign that insects are plenty in this environment. But it's the first time I saw hare or a rabbit in a tea plantation!  

I decided to let it go and not run after it. A wise decision with my lack of running practice. But I nevertheless went down Lewis Carroll's rabbit hole. The spring feeling of this late afternoon in this plantation reminded me not just of my first visit here 20 years ago, but it also reminded me of my parents' garden. I had been born in a city and first lived in an apartment, but when I was 3, we moved to a house with a garden in a nearby village in Alsace. As soon as the weather permitted, I would spend my time outside. I had this chance of growing without the Internet! The lush fragrance of lilac would create the same kind of presence than these powerful exotic flowers in this San Hsia plantation. 
What a joy to be able to leave the house after the cold winter. The garden meant freedom and friends with the naughty neighbors who were a little bit older than me and would send me to buy cigarettes for them when I was six! As a early teenagers, my school friends and I would ride our bicycles to play in the middle of the forest, in old trenches from the first or second world war. The intense smells of nature always bring back happy memories. 
Thanks to Proust's book (which I just finished yesterday), I now understand that my childhood garden is what I'm longing for when I visit these plantations. I always go there in excitement, not just for the tea, but also to return to my childhood's favorite playground. The similar feeling and scents are bridges or portals to a distant past that becomes accessible again. It erases time and brings a quiet feeling of eternity, because the past has not ceased to exist. It still lives on, is part of me, and can be summoned with these visits and these tea smells. 
So, my third encounter was with myself! And I realize better now how fortunate I am to have so many different teas with so many different aromas that help unlock so many different memories. My pictures are simply an attempt to catch the beauty of nature and the innocence of my childhood...

And if I can't always take a stroll in a tea plantation, I'll drink some tea!


Saturday, March 11, 2023

Emperor Huizong, Part 4

(Read part 1, part 2, part 3).

For this last part of the review of Patricia Buckley Ebrey's book, let's examine how Huizong enjoyed his tea! Most of the quotes come from Chapter 10 entitled 'Finding Pleasure in Court and Palace Life'.


Page 284 

From the account of an 1120 party in Extended Blessing Palace: "Huizong called for attendants to bring the tea equipment, then with his own hands he poured the water and whisked the tea. Before long the white foam in the teacup resembled scattered stars and the moon. The emperor turned to us and said, "This is tea I made myself.""

Comment: This story shows what a kind and friendly emperor Huizong was. It was not beneath him to prepare tea for his guests. This also shows that preparing tea isn't a chore, but an entertainment that requires skills, experience and that rewards you with a delicious beverage.


 Page 296

"After three rounds of wine, Huizong told his guests to enjoy themselves and not worry about etiquette. Then he offered them newly arrived tea specially prepared using spring water."

Comment: We see that Huizong is a entertaining host. He starts with wine in order to let the guests relax and then continues with tea. This shows that the 2 beverages were used in a complementary way. As spring is approaching, we can also understand how eager these people were to taste the fresh, newly arrived tea. And in order to succeed in making the tea, special attention was given to water! 

Page 297-298

"At the Hall of Complete Truth, the emperor gave us tea, personally holding the kettle and pouring it into the cups. The tea foamed up, and the foam got in the emperor's face. This made us, his subjects, uncomfortable and we said to him, "Your Majesty is neglecting the distinction between ruler and subject, and treating us subjects as equals, boiling tea for us. We are in trepidation. How dare we sip?" "

Comment: This account by Cai Jing, Huizong's chancellor of the State Council, confirms that Huizong is often preparing tea for guests, and that they find it awkward. They dare not laugh when a mistake happens. Actually, Cai Jing is probably exaggerating to flatter the emperor when he says that the foam was so high that it got in the emperor's face. Usually, foam isn't that thick. 

Page 299

"It's worth noting Huizong's personal preparation of tea for his guests at these parties. Tea clearly had a place in the culture of Huizong's court, as it did in literati culture of the time. Huizong had opinions of how tea should be prepared and liked to make it himself. Huizong has long been credited with a brief treatise on tea, dated to the Daguan period (1107-1110), the earliest version of which dates back to the Shuofu, compiled in the fourteenth century. After an introduction extolling the wonders of tea, the treatise covers twenty steps from selecting the site to plant the tea, through picking, steaming, grinding into cakes, making discriminating choices among types of tea, pouring water, selecting cups, and so on. 

Comment: Huizong was so fond of tea that he wrote a book about it. He's the only Chinese emperor to have written one. This book remains the reference to understand Song dynasty tea. It has many similarities with the Japanese Chado, but there are also differences, like using an ewer to pour the boiling water and whisking very thoroughly.
Page 299. A few passages from Huizong's book.

"How to judge quality: Teas vary as much in appearance as do the faces of men. If the consistency of caked tea is not done dense enough, the surface of the cake will be wrinkled and lack luster, whereas it should be both glossy and close-knit. Caked tea processed on the day it was picked has a light purple color ; if the processing has taken longer, it will be darker. When caked tea is powdered ready for infusion, the powder will look whitish but turn yellow when infused. There are also fine tea pastes with a greenish color; the powder, though grey, becomes white upon infusion. However, tea may look ordinary and nevertheless be remarkably good, so one should not go too much by appearances... Unfortunately tea merchants have many artifices for making tea look much better than it is."

Comment: The translation should read 'whisked' instead of 'infused'. In order to give you a better idea of how Huizong would prepare his tea, I have illustrated this post with pictures of a Song style tea preparation. It's also interesting to read that it's difficult to judge a tea by its appearance only. This is still very true nowadays. As a tea seller, I am delighted to read that marketing and packaging already existed in the Song dynasty! 
Page 300

"White tea: White tea is different from all others and deemed the finest. With wide-spreading branches and thin shiny leaves, the trees grow wild on forested cliffs. Their product is very sparse, however, and there is nothing one can do about it. Four or five families in the Beiyuan tea estate have some trees of this kind, but only a couple of them come into leaf, so no more than two or three bagfuls can be gathered each year. Both shoots and leaves are small; steaming and firing them is rather difficult; for if the temperature is not exactly right, they will taste like ordinary tea. Thus, a high order of skill is needed and the drying must be carefully done. If everything is exactly as it should be, the product of such trees will excel all others."

Comment: This paragraph is often misunderstood in the modern tea world. For many writers, this means that the white tea we know nowadays, which is simply dried, dates back to the Song dynasty. However, white tea is a process that is much more recent, about 100 years old. This paragraph shows that Huizong had a good understanding of what kind of natural environment the best teas come from. 
Page 300

"Cups: The best kind of tea bowls are very dark blue - almost black. They should be relatively deep so that the surface of the liquid will attain a milky color, and also rather wide to allow for whipping with a bamboo whisk."

Comment: the bowls Huizong has in mind are the black glazed bowls from Jianyang, Fujian Province. Their natural alterations during the firing in the long dragon kiln were a kind of natural beauty that the Song literati loved. And the dark color of the glaze let the light hue of the whisked tea stand out.

Page 300

"Whisk: This should be made of flexible bamboo; the handle should be heavy, the brush-like slivers light, their tips sharp as swords. Then when the whisk is used, there are not likely to be too many bubbles."

Comment: The focus of the book is to make a good bowl of tea. Even though Huizong is a Daoist who also had a Daoist cannon written, he's not mixing tea with spiritual powers or esoteric thoughts. It's a detailed and rational approach. The whisk is an important tool and its purpose is to create a thick foam, not large bubbles.

Page 328

"Huizong personally prepared tea and handed the cups to those present."

Comment: This new episode of Huizong preparing tea happened at chancellor Cai Jing's house. In the afterword, on page 505, the author writes: "Huizong made many small gestures to show his respect and appreciation for those around them (sic), from mixing up tea for them to inquiring about their relatives."
 

Wednesday, March 08, 2023

Emperor Huizong, part 3

Foreword: You may first want to read Part 1, Part 2 before this article, even though each part can be read independently.

In this article, we'll focus on tea's importance in the political, economical and even military aspects of life under Song Huizong. And since we're looking at the bigger picture, the reason why Huizong's life is fascinating is the fact that he's the emperor who lost half his empire to the nomadic Jurchen, his freedom and ultimately his life. Born in 1082, as the third son of emperor Shenzong, he wasn't supposed to become emperor and had already moved out of the palace. He's old brother, emperor Zhezong suddenly died at 23 without an heir and the second brother was passed over, because he was blind. The great question about Huizong is why and how he could loose so badly? What are the mistakes that he made that led to the catastrophe of loosing the northern half of the country and having to retreat to the south? Historians have blamed the fact that Huizong was were artistic minded, an accomplised poet, painter and calligrapher with a taste for luxury (large parks, new temples...). For some, everything he did led to the defeat. This book, however, tries to look at Huizong with a fair and balanced approach. For the author, his artistic accomplishments and extravagant spending didn't help against his foes, but every powerful ruler has his quirks and loves luxury (she mentions Louis XIV and Versailles). So, let's try to understand the situation by focusing on tea in this book.

1. Page 91

"The revenues set aside for the Privy Purse included the commodities that prefectures sent to the emperor, both as standardized gifts and because they were needed for palace use; items received as tribute from foreign countries; profits from government monopolies in salt, wine, and tea..."

Comment: The tax revenues would flow either to the Treasury to fund the Song State, or to the Privy Purse to fund the palace. So, under Huizong, there was a monopoly on tea and its proceeds went to the Privy Purse. This means that a buyer of tea had to go through the state monopoly to purchase tea and pay a tax. This was again the case under the communist rule, from 1949 to 2000 with the China National Native Produce (CNNP) monopoly.

2. Page 92.

"He (Zheng Bu) told Huizong that the Tea-Horse Agency annually brought in two million strings of cash."

3. Page 103

"A few months later, Cai Jing revived the long-defunct monopoly on southeastern tea, which soon was bringing in about 2.5 million strings of cash a year and made possible the acquisition of fifteen to twenty thousand horses annually."

Comment: Horses were plenty in the northern plains controlled by the Western Xia, the Jurchen and Liao, but a scarce resource in China. The Song military needed horses to strengthen its army, but you can imagine that its adversaries were not very keen selling a powerful weapon to the Song. That's why the Tea-Horse Agency could help: the inhabitants of what is now Tibet (then western Xia) loved tea that only grew in China and were therefore willing to sell horses for tea. This is why tea had even a strategic importance for the Song military!

4. Page 318

"(...) during an audience with one of his former tutors, Xu Ji, Huizong said that Xu Ji had spent a lot of time outside the capital, he should tell him about the problems of the poor. Xu Ji in response talked about problems with the way the tea and salt monopolies were administered."

Comment: The issue of the poor and the tea and salt monopolies were linked, because we saw that the tea monopoly was contributing money to the Privy Purse, and the help to the poor were funded by the palace and not the State Treasury. The social welfare programs that Huizong started also explain why he was popular with many citizens.  

5. Page 331

"The government took other measures to ease the shortage of copper as well: it opened new mines, reduced the proportion of copper in the coins, permitted taxes to be paid in silver, issued iron coins for use in the northern border area and Sichuan, outlawed melting down coins, circulated vouchers in connection with the grain trade and the tea and salt monopolies that along with ordination certificates could be traded, and in time issued paper money."

Comment: Song dynasty was also a pioneer in using paper as money and in creating inflation. This was a consequence of the New Policies that were started by Wang Anshi in 1069 and continued under Huizong.

6. Page 333

"Zhan objected that Cai Jing should not be put in the same class as Wang Anshi, who had stayed away from the tea and salt monopolies."

Comment: This means that, at first, when Wang Anshi started to implement his New Policies, there was no tea and salt monopoly. This was created or revived by Cai Jing (see page 103). Cai Jing was the grand councilor of the Council of State during most of Huizong's reign. This position is similar to that of prime minister. Emperor Huizong would allow other councilors or public servants to voice criticism of policies of other councilors, but this was risky and could cause your departure to a distant county. But when problems arose, like inflation, there was a lot of criticism that reached the emperor. Here, Zhan is criticizing Cai Jing for not keeping the same policies as Wang Anshi in place. 

7. Page 375

"The three-way negotiations ended with the Song increasing its subsidy to the Liao and providing one to the Xi Xia as well. Each year, Xi Xia was to get 130,000 bolts of silk, 50,000 ounces of silver, and 20,000 catties of tea." 

Comment: This is the arrangement that was agreed during the Renzong (1022-1063) reign. Song China was paying its neighbors to have peace in the north. I find it interesting that they would send tea to all these foes, because it indicates that they were not that different culturally if they also enjoyed tea! While this payment was felt like a humiliation for the Song, it was just about 3% of the total tax revenue, much less than what the war would cost. Besides, most of the silver would flow back to China thanks to trade.

8. Page 376

"Shenzong and Wang Anshi made progress on the critical issue of good horses. From 1074 on, the Tea-Horse Agency each year acquired ten thousand horses from Tibet in exchange for tea grown in nearby Sichuan."

Comment: Most of the time, trade means peace, but the purpose of the Tea-Horse Agency was to launch a war on Xi Xia in 1081, after having accumulated sufficient horses. It's also kind of paradoxical that the most peaceful product, tea, would be used to strengthen the army and lead to war!

9. Page 417-418

"In the first month of 1125 Huizong sent a mission to congratulate the new Jin emperor Taizong on his accession. (...) Gifts ranged from tea and fruit to three horses fitted out with saddles decorated with gold and silver and bridles and whips adorned with ivory and tortoise shell."

Comment: Jin is the name of the Jurchen dynasty. Huizong would ally himself with the Jin against the Liao, probably his worst decision. Jin and Song were supposed to attack Liao at the same time, but Huizong's army had first to quell a tax revolt in the south (the Fang La uprising caused by inflation). And when the Jin were able to defeat Liao and saw how weak Song was, the Jin army entered Song territory and went straight to the capital Kaifeng. There, Huizong abdicated for his son, left the city, came back and they were taken prisoners by the Jin after the fall of the city in 1127. He died in captivity in 1135.

I hope you've enjoyed this more detailed review of tea during Huizong's reign from a policy point of view. The comments are my own and there's still no definitive answer to why Song was defeated and what he could have been done to avoid this loss. But historians and leaders better ponder how the richest and most technological empire of its time could loose to northern nomadic tribes. The parallels with present times (like inflation) are very interesting...

In the next part of my review, I'll go back to the lighter and enjoyable side of tea: its preparation and enjoyment! And if you want to brew tea in style, check out my latest Chabu!

Tuesday, March 07, 2023

Complément à Emergence du thé

Je tenais encore à remercier Olivier F Delasalle pour ses 2 textes sur l'émergence du thé (partie 1 et partie 2). Grâce à ce philosophe et linguiste, nous avons un éclairage différent de la question fondamentale de ce qu'est le thé. Et même si la réponse semble évidente de nos jours, il est utile, je crois, de comprendre comment on en est arrivé là. Après 19 ans de blog, il était temps de parler aussi de vocabulaire, du mot et de son histoire. D'ailleurs, je voudrais ajouter un élément intéressant dans un pays où coexistent les deux phonétiques qui ont conquis le monde. En effet, à Taiwan, on peut entendre soit 'cha' (prononcé tcha) soit 'té (prononcé dé, avec un d dur, mais pas autant qu'un t) pour le caractère '' selon qu'on parle mandarin ou le hokkien (le dialecte du sud de la province du Fujian et de Taiwan).



 











Ci-dessus, sur la photo d'un point de vente de thé aux boules de tapioca et autres boissons sucrées, on a même mélangé même les deux langues, car Lim Té veut dire 'boire du thé' en hokkien, mais au lieu de prendre le caractère chinois de boire, on a pris un caractère qui se prononce 'line' en mandarin. Et si le tout est traduit 'Lim tê', c'est pour jouer sur cette expression du patois hokkien qu'on entend souvent prononcer à Taiwan!

Ainsi, la prononciation française de 'thé' provient donc directement de ce patois hokkien! Pareil pour tea en anglais ou Tee en allemand. Ce qui explique cette prononciation européenne, c'est que les premiers thés qui firent leur apparition en Europe provenaient de la région côtière du Fujian, au sud de la Chine. Nos marins marchands ont du demander aux vendeurs du Fujian comment s'appelaient ces feuilles à infuser, et ils leur ont répondu 'dé' en hokkien et c'est devenu 'thé en français!

Par contre, les pays qui achetaient leur thé dans les régions du nord ou les régions intérieures de la Chine, eux ont nommé ce produit sur la prononciation 'cha' du caractère '': chay en Russie et en Turquie, cha en Corée... Cette carte montre précisément comment le thé s'est répandu par la mer et le cha par la terre!

Quelle est donc l'utilité de comprendre la polysémie du mot thé qui désigne autant la feuille de camellia sinensis, son infusion que la réunion sociale autour de cette infusion? 

Personnellement, je trouve que cette reflexion sur ce qu'est le thé doit nous conduire à rejetter l'emploi de ce mot pour désigner les boissons sucrées contenant des arômes artificiels ou contenant des ajouts gourmands comme les boules de tapioca. L'essence du thé est d'être un produit issu intégralement de feuilles de camellia sinensis. Or, dans ces boutiques, le thé est juste un ingrédient parmi les autres. -On en revient au thé avant les Tang, qui était un mélange de différentes herbes, presque une soupe!- Sa fonction principale est de faire oublier le côté industriel des autres ajouts (sucre, arômes artificiels, lait, féculents...) et d'essayer de présenter ces boissons calorifiques sous une appelation traditionnelle, sympathique et bienfaisante.

Certes, ce combat est inégal et j'ai bien conscience que ces boissons sont déjà banales à Taiwan et que leur nom ne fait pas débat. Par contre, comme dirait Solzhenitsyne, le mensonge ne passera pas moi. Je me refuserai toujours de parler de thé en parlant de ces boissons. Si j'ai l'occasion de dire ce que je pense, je le fais comme dans cet article, mais au moins je n'emploirai pas le mot de thé pour désigner quelque chose qui est si différent de la définition de ma boisson préférée!

Monday, March 06, 2023

Emperor Huizong, part 2

In my first article, I already mentioned the strangest mention of tea in this book, when tea was believed to have been used to perform some kind of black magic! In total, I've recorded the word 'tea' on 27 pages out of 515 in this biography of Emperor Huizong by Patricia Buckley Ebrey, published by Harvard University Press. This means that tea played quite an important part in Huizong's life, if it's mentioned so often. The author recognizes this on page 314 when she writes: "We know nothing of what he liked to eat, but his love of tea is well documented. Although as emperor he could ask for any tea grown in the country, he did not lose his enthusiasm for trying new ones and perfecting ways of brewing it."
While the biography focuses on Huizong, we also learn something interesting about the Chinese capital on page 23: "Entertainment was available around the clock outside the palace. Theaters, wine shops, restaurants, tea houses, and brothels were densely packed in the entertainment quarter." I don't think that tea houses and brothels were mentioned together by accident in this sentence. In Taiwan, 40 years ago, 'tea houses' was the socially correct way to call a brothel and the serving of tea was just one part of the service a man would get in these places. There might also have been tea houses focused just on tea, but it's just as likely that there was a market for combining both entertainments! 
In my next post on the subject, I'll examine the important role tea played in the economy and politics of the Sung dynasty. Tea even played a role in the military! 
 

Thursday, March 02, 2023

Emergence du thé 2/2 par Olivier F Delasalle

Après la première partie, voici la seconde partie du texte de mon ami philosophe et linguiste théophile, Olivier F. Delasalle :


"Etait-ce plus simple en Chine ? Rien n’est moins sûr. Le mot, comme le caractère, a également mis du temps avant d’être stabilisé.

Le caractère que l’on emploie aujourd’hui (茶) n’apparaît qu’à l’époque Tang (618-907), période où le thé prend réellement son envol, pour se diffuser à la fois dans la Chine continentale et dans les régions limitrophes.

Ce caractère est l’altération du caractère 荼 (la différence se trouve dans l’un des traits horizontaux), dont le sens est sinon mystérieux, du moins ambigu. Le plus vieux dictionnaire portant sur les caractères dont nous disposons, le Erya (爾雅, simplifié 尔雅), une œuvre que l’on date du troisième siècle avant notre ère, utilise trois fois le caractère.

Au chapitre 13 (釋草: « explication des plantes »), on trouve l’entrée 21: « 荼,herbe amère (苦菜) ».

Un peu plus loin dans le même chapitre, à l’entrée 207, il est désigné comme étant une catégorie de la plante « 蔈 ».

Enfin, au chapitre 14 (釋木: « explication des arbres »), où il est dit : « 檟 : 荼 amer». (1)

Selon les dictionnaires modernes, le terme 檟 est un ancien terme pour désigner le Camellia Sinensis. Mais les spécialistes sont loin d’être certains de l’identité de 荼. Si le caractère pouvait probablement désigner le thé, il pouvait peut-être également être employé pour désigner d’autres plantes amères, telles que le laiteron maraîcher (en anglais : sowthistle, c’est-à-dire Sonchus oleraceus), la chicorée amère (chicory, Cichorium intybus L.) ou la renouée persicaire (smartweed, Persicaria maculosa). (2)

D’autant qu’un deuxième caractère était employé pour désigner le thé : 酩(茗 en forme simplifiée), ce qui ne contribue pas, à près de deux mille ans de distance à démêler l’écheveau pour savoir à quelle espèce renvoyait tel ou tel caractère ?

Si d’un point de vue linguistique, le thé tel qu’on le comprend aujourd’hui date de la dynastie Tang, le point de vue archéologique semble indiquer qu’on buvait bien du Camellia sinensis avant. On a par exemple retrouvé des feuilles de thé dans une tombe datant de 141 avant notre ère (3)

Mais avant ? Tout devient flou. Là aussi le thé, que ce soit dans le mot écrit utilisé pour le désigner ou dans son identification, semble mettre un long moment à se stabiliser pour devenir ce que l’on connaît aujourd’hui.

Le plus étonnant, lorsqu’on l’entend pour la première fois, c’est d’apprendre que le thé, comparé à 4000 d’histoire de la Chine, est une histoire relativement récente. Il démarre vraiment sous les Tang (618-907), et ne prend la forme qu’on lui connaît (feuilles infusées) que sous les Ming (1368-1644). Autrement dit : entre 379 ans et 1405 ans, selon l’endroit où l’on place le curseur, soit entre 10% et 35% de son histoire. C’est peu au regard de l’importance de cette boisson en Chine.

Phénomène culturel essentiel, mais phénomène qui a une histoire et qui n’a pas toujours été. On peut relever d’autres phénomènes de ce type.

Dans un tout autre domaine, il y a par exemple l’histoire de la kippah. Aujourd’hui, c’est un élément du vêtement juif traditionnel qui semble incontournable. Si vous êtes un homme, essayez d’aller à l’office du vendredi soir sans kippah dans une synagogue : vous ne ferez pas deux mètres avant qu’on vous en propose une où que l’on vous indique la boîte où se trouvent les kippot (pluriel des mots en a : – ot) surnuméraires.

Pourtant la kippah est, à l’échelle de l’histoire juive, un vêtement tout à fait récent : elle date probablement du XIIème siècle, en Europe. Et avant ? Avant, on se couvrait la tête, mais avec un chapeau, un tissu, ou un couvre-chef particulier. La forme qu’on appelle aujourd’hui kippah, est une invention récente. Alors quoi, pendant les autres trois mille ans d’histoire du peuple juif, il n’y avait pas de calotte ?

Probablement pas, et d’ailleurs les Juifs ne sont pas les seuls à l’utiliser. Lorsque le pape Jean-Paul II était venu visiter Israël, première visite d’un pape depuis le premier, près de deux mille ans auparavant, un journal israélien avait publié en première page une photo du pape et du premier ministre de l’époque, et avait titré : « le Pape, c’est celui avec la kippah ».

Ce qui veut dire qu’il y a un moment où la kippah a surgit, un moment où elle s’est répandue et un moment où elle est devenue tellement évidente que plus personne ne se souvenait qu’un jour, quelques siècles auparavant seulement, elle n’était pas.

A ce sujet, il y a un sketch irrésistible de la série Hayehudim Bahim, l’une des grandes séries comiques israéliennes contemporaine.

La scène se passe dans une école talmudique, au Moyen Âge. Un des élèves revient, après quelques jours d’absence pour cause de maladie. Il entre : tout le monde est déjà installé, mais son arrivée cause un énorme brouhaha. Le rabbin (joué par le génial Moni Moshonov) lui explique : il n’a pas embrassé la mezouzah ! Embrasser la mezouzah ? Mais pour quoi faire ? On n’a pas déjà suffisamment de règles ? Le rabbin lui dit que c’est nouveau, il a été décidé, pour faire preuve de respect envers l’Eternel, d’embrasser la mezouzah en entrant et en sortant. Le jeune élève est surpris, mais les autres insistent, geste à l’appui. Très bien : il embrassera la mezouzah.

Puis le jeune élève trouve une kippah sur le sol. Il la ramasse et demande à qui c’est. On lui dit qu’il doit l’embrasser également, c’est un objet saint qui est tombé par terre. Alors il embrasse la kippah, qui passe de mains en mains. Tout le monde l’embrasse, par respect, avant qu’elle ne retrouve son propriétaire. Finalement on demande au nouvel arrivant : mais au fait, qu’est ce que tu avais ?

Réponse de l’élève, tout à fait sérieux : une crise d’herpès buccal. Contre-champ sur les élèves et le rabbin, horrifiés. (4)

La scène condense le processus de diffusion culturelle en quelques minutes, mais le rire qu’elle déclenche pointe la réalité du phénomène. Il est vrai que les Juifs pieux touchent la mezouzah en entrant et en sortant, afin d’avoir à l’esprit le message quelle contient, en particulier qu’il faut se comporter dehors comme dedans, et suivre les règles éthiques qui permettent de bâtir une société décente. Mais ce phénomène a dû commencer quelque part, se développer, se reprendre et devenir évident. Et a effectivement posé beaucoup de questions pendant la pandémie.

Le surgissement du thé comme phénomène culturel évident peut donner un modèle pour comprendre ce processus.

Il commence discrètement, lentement, sans qu’on sache tout à fait de quoi il s’agit exactement. On a retrouvé des feuilles de thé dans une tombe datant de deuxième siècle avant notre ère. On a des vagues traces postérieures disant que ça a commencé à être utilisé dans la région qui est aujourd’hui le Sichuan, mais qui était à l’époque en dehors de l’ère culture de la Chine classique. Un dictionnaire encyclopédique comme le Erya a dû mal à dire précisément de quoi il s’agit : herbe ou arbre ? Et les mots pour désigner cela sont multiples, sans qu’on ait une idée très claire de ce qu’ils découvrent chacun. Idée peu claire aujourd’hui, mais probablement également un peu floue sur le moment.

Lorsque le phénomène décolle, un nouveau mot apparaît : quitte à changer légèrement un autre mot pré-existant. C’est probablement la trace initiale que nous cherchions : lorsqu’un groupe prend le temps et la peine de nommer quelque chose spécifiquement, c’est qu’il a conscience que le phénomène en question devient important.

A partir de là, les choses accélèrent. Le produit arrivé à maturité, et tout le monde dans la région veut imiter les Tang. A tel point que certains éléments essentiels dans la pratique du thé au Japon (comme faire bouillir l’eau dans un récipient en fonte et la sortir avec une sorte de louche) continuent jusqu’à aujourd’hui des pratiques prises chez les Tang. (De même par exemple que s’asseoir par terre en tailleur).

Si on faisait une courbe décrivant la diffusion du thé dans l’espace culturel chinois, puis dans l’espace culturel mondial, on obtiendrait une courbe qui ressemblerait probablement à une demi parabole. Une première phase d’augmentation très longue et très lente, et un point d’inflexion à partir duquel la diffusion est très rapide. D’où, peut-être, l’impression que les phénomènes culturels essentiels ont toujours existé : l’histoire n’a pas retenu la première phase lente et absolument discrète, tellement silencieuse qu’on n’en a presque aucune traces écrites ou archéologiques.

C’est en appliquant ce modèle à notre problème proustien initial que l’on peut imaginer la source de la confusion. Le narrateur se trouve juste avant le point d’inflexion de la demie-parabole. Le mot thé n’est pas encore totalement stabilisé dans sa sémantique, la distinction entre thé et tisane commence à apparaître, mais elle ne s’est pas solidifiée comme elle est l’est aujourd’hui. Lorsqu’il dit « thé », il veut dire Camellia sinensis, mais parfois également tisane, parce qu’il est encore dans les derniers moments de ce flou linguistique. Flou qui sera levé définitivement dans les années 30, comme en témoignent le dictionnaire de l’Académie française dans sa huitième édition et le décret sur la signification précise du mot « thé » dans le droit du commerce français. Sans le savoir, Proust a peut-être capté le moment si ténu où un mot qui se recherchait finit par se trouver."

Notes
(1) Le Erya est disponible sur : https://ctext.org/er-ya
(2) Dans James A. Benn, Tea in China, ch. 2, paragraphe The Pre-Tang terminology of Tea.
(3) Dans la tombe de l’empereur Liu Qi du royaume de Jing.
https://www.npr.org/sections/thesalt/2016/01/26/464437173/worlds-oldest-tea-discovered-in-an-ancient-chinese-emperors-tomb
(4) https://youtu.be/seElbA9H9U8 , mais les sous-titres passent à côté d’une grosse partie des dialogues.
Les extraits de Proust sont directement pris sur l’excellent https://unepagedeproust.org/ , qui permet de naviguer dans l’ensemble du corpus de la Recherche avec une facilité déconcertante.