Le thé tel que nous, vous et moi, le pratiquons est une forme idéale de gastronomie. Au départ du thé et de l'art de la table, il y a le désir dans toute sa noblesse et non le besoin. La gastronomie, c'est la sublimation de la faim, tandis que le thé, c'est la sublimation de la soif. Ces deux besoins primaires que sont faim et soif ont la même origine: le besoin de régénérence continuelle du corps. La faim est plus douloureuse que la soif, mais l'on peut vivre sans manger bien plus longtemps qu'on pourrait vivre sans boire. Certes, on peut manger (un peu) sans faim, sans le besoin de de sustenter, mais le désir d'un bon repas est un moteur nécessaire à ce désir. Or, le besoin en eau du corps est si fondamental qu'on peut tout à fait boire sans soif. Si la satiété tue l'envie gastronomique, l'épanchement de la soif ne supprime pas le désir d'un bon thé. Il y a toujours de la place pour une petite coupe de thé! Le désir de thé est donc plus sublime, car il est au-delà du besoin.
Lorsqu'il s'agit de gastronomie, la qualité prime sur la quantité. Un bon repas n'est pas jugé sur le nombre de calories ou de bouchées, mais par la qualité des émotions générées en bouche. Pour les meilleurs thés, il suffit parfois d'une petite coupe pour nous procurer des plaisirs intenses.
Dans les deux cas, on commence à la source, par la qualité des produits venant de terroirs spécifiques. Ils y sont cultivés en harmonie avec la nature et travaillés, transformés de manière artisanale par des agriculteurs exigeants. Mais au lieu d'avoir de nombreux ingrédients, chaque session de thé n'utilise qu'une seule sorte de feuilles à la fois et de l'eau. On ne saurait faire plus simple et plus pur.
Après avoir porté notre attention aux ingrédients, il est nécessaire de s'intéresser à la recette. A première vue, le thé est de nouveau une simplification extrême de la gastronomie puisque la recette est courte et ne change pas. Il suffit d'ajouter de l'eau très chaude aux feuilles, de laisser infuser et de servir. Mais chaque détail à son importance. Combien de feuilles? La température de l'eau? La force de la verse? Le temps d'infusion? Le choix de la théière, des coupes? Tout dépend des feuilles et de quelles saveurs ont veut mettre en avant. Cela demande la même expérience et le même savoir-faire qu'un très bon cuisinier. La recette ne donne que les grandes lignes. Ce qui fait la différence entre le bon et le sublime, c'est de s'adapter aux circonstances et de sentir quand c'est bon.
Il y a un plaisir immense dans la création d'un bon plat. Mais comme cela prend du temps et de l'expérience, pour un grand nombre de gens, on préfère mettre une croix sur ce plaisir de cuisiner et se contenter du celui de la table d'un restaurant.
Pour un thé comme celui que vous voyez sur ces photos, j'ai eu tous les plaisirs! Ce top Hung Shui Oolong vient des hautes montagnes d'Alishan. Il a été torréfié traditionnellement au charbon de bois de longyan. Récolté au printemps 2016, ses arômes s'affinent avec le temps comme un bon vin ou un bon fromage. Fraîcheur et torréfaction lui donnent une complexité et nous offrent un challenge: arriver à l'infuser de manière à préserver cette tension entre ces deux pôles. C'est ce que je fis avec un simple gaiwan en porelaine dans un joli Chaxi. Le plaisir pour mes papilles fut le même qu'un morceau de chocolat noir enrobé de café et dégusté en pleine nature! Ce thé-ci est absolument fantastique. Il est très proche des meilleurs Yancha de Wuyi, mais son prix reste plus que raisonnable.
Le thé, c'est de la gastronomie simplifiée, réduite à ses concepts les plus purs. On le fait soi-même au moment qui nous convient. Et c'est zéro calorie! De plus, le coût des feuilles pour une session ne dépasse que rarement le prix d'un hamburger! Aussi, malgré sa réputation élitiste, le thé est le plaisir à porter de tous!
The Chanoyu Hyaku-shu [茶湯百首], Part III: Post 55.
18 hours ago
1 comment:
Super article, un régale à lire ! Idéal pour bien démarrer la rentré .
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