Wednesday, January 24, 2024

Le thé dans 'Au bord de l'eau' tome II, de Shi Nai-An et Luo Guan-Zhong


Puerh Gushu cru des années 1970
Dans le second tome de 'Au bord de l'Eau', j'ai compté 38 mentions du mot 'thé' (sur 1163 pages). C'est bien moins que les 103 mentions dans le premier tome. L'explication de cette réduction de l'emploi de ce terme provient principalement d'une action qui se passe bien plus en affrontements militaires qu'en des rencontres citadines. La maison de thé était alors souvent le lieu où les héros discutaient et fraternisaient. Dans le second tome, la bande des marais du Mont Liang est au complet et affronte deux nouveaux défis. Premièrement, ces hors-la-loi veulent se soumettre et retourner au service de l'empereur, mais seulement selon leurs termes. Puis, ils vont œuvrer à vaincre les ennemis de l'empire et mater les rebellions internes. Même les héros les plus intrépides finissent par mourir et les derniers chapitres sont une hécatombe pour nos héros. Et s'il n'est plus question de thé dans les 320 dernières pages de roman, il y sera question de vin empoisonné!
Voici les emplois les plus fréquents du mot 'thé' dans ce second tome:
- 11 mentions de 'maison de thé',
- 7 mentions de 'prendre le thé',
- 4 mentions de 'servir ou apporter' le thé
- 3 mentions de 'maître de thé'
- 3 mentions de 'boire du thé'
- 3 mentions de 'thé' et 'riz' ou 'nourriture'. C'est intéressant de relever que les personnages mangent parfois en buvant leur thé, alors que la pratique actuelle du thé Chinois se fait surtout en-dehors des repas. Les accords de thé et de mets ne sont donc pas une innovation récente, mais cela remonte loin!
Remarquons aussi qu'il y a deux emplois de 'couleur de thé'. Ci-dessous, je cite les deux passages où l'on trouve cette couleur:
Page 98: "Après la scène comique apparut un vieillard, coiffé d'un turban qui lui descendait jusqu'en bas des oreilles, vêtu d'une tunique de gaze couleur thé foncé, serrée à la taille par une ceinture noire, et tenant à la main un éventail."

Page 385: "Derrière lui, l'autre était coiffé d'une calotte blanche contre la poussière, à la mode de Fan-yang , vêtu d'un sayon de buratine brodée couleur thé, serré à la taille par une ceinture rouge à aumônière vermillon ; chaussé de bottes de voyage en cuir ; il portait sur le dos un ballot d'habits, tenait un court-bâton et avait un couteau à la ceinture."

A la page 223, il est dit: "Ce fut une journée sans riz, sans thé, une pure journée d'affolement à trois!" En effet, "La femme de Xu Ning et les deux Fleurs-de-prunier (= servantes), telles des fourmis au fond d'une poêle brûlante, couraient en tous sens mais tournaient en rond..." car elles ont découvert que l'objet le plus précieux de la maison a été dérobé, et elles attendent, impuissantes, le retour du maître. Elles étaient tellement désemparées qu'elles ne mangèrent pas et ne burent pas de thé. Cela montre combien la consommation de thé était courante dans cette (riche) demeure. 

Malgré les 141 mentions du thé (103 mentions dans le tome I et 38 mentions dans le tome II), le lecteur n'apprend jamais le goût ou les senteurs de ce breuvage. De même, la technique de préparation n'est pas non plus mentionnée. La raison pour cette absence de précision n'est peut-être pas anodine. En effet, l'histoire se déroule vers 1120 (dynastie des Song du Nord), quand le thé était en poudre et fouetté dans un bol. Sa consommation était très élitaire. Mais la composition de ce roman date de la fin de Yuan. L'auteur, Shi Nai-An vécut de 1296 à 1372. Il est donc mort en l'an 5 de la nouvelle dynastie Ming qui vit le passage à l'infusion du thé en feuilles dans des théières. Cela rendit la consommation du thé bien plus populaire et courante. Ne pas donner de détails permettait d'éviter d'avoir à expliquer les changements. Cela rendait l'histoire plus proche des lecteurs, car ils avaient l'impression que l'habitude de boire du thé était restée la même.

L'auteur a pourtant été à deux doigts de nous décrire plus précisément le thé dans ce passage à la page 594: "La nourrice apporta le thé, et Li Shi-Shi présenta elle-même les tasses à Song Jiang, Chai Jin, Dai Zong et Yan Qing. Inutile de dire l'arôme et la saveur de ce thé! Lorsque tous eurent bu, on emporta tasses et soucoupes, et la discussion allait s'engager sur la situation des convives quand la nourrice vint soudain annoncer: 
- 'Sa Majesté arrive, à l'intérieur!'"

Quel dommage! Cela aurait été très intéressant de lire la description des arômes et des saveurs de ce thé!

Sinon, la toute dernière mention du thé dans le livre est assez originale. En effet, s'il est beaucoup question de boire, de servir du thé dans des maisons de thé... c'est au bas de la page 869 que "le Prodigue et le Tourbillon-noir s'empressèrent de payer le thé"!
Dans le tome I, il avait été question une fois "d'acheter du thé", mais c'est la première fois qu'on fait mention de l'acte de payer. En effet, nos héros ont été des brigands et ont une force colossale, mais ils paient rubis sur l'ongle!

Note: la semaine prochaine, le groupe de lecture débute une nouvelle œuvre littéraire, l'Iliade d'Homère, à raison de 60 pages environ par semaine. Contactez-moi si vous désirez vous joindre à ce groupe de lecture (actif sur Telegram).

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