Thursday, December 13, 2018

Quand le thé descend de la montagne et arrive en ville

Heureux les dégustateurs citadins d'Oolongs de haute montagne: la montagne vient exceptionnellement à nous sans que nous ayons à nous déplacer! Mais ce trajet n'est pas à sens unique. Si la montagne vient à nous, son thé nous remplit de ses arômes, de son souffle, c'est toute notre âme qui est transportée chez elle!
Ces feuilles d'Oolongs aux reflets sombres verts, bleus et jaunes nous rappellent la couleur des sommets Taiwanais. Leur parfum insaisissable et évanescent est un concentré des senteurs de la montagne. Le paradoxe est que ce parfum est d'autant plus fin et sa fraicheur périssable que la montagne est une force brute dont l'âge se compte en millions d'années. On résoud ce paradoxe en se rappelant que cet Oolong ne vient pas des entrailles de la montagne, mais de la rencontre entre sa surface et le ciel. Entre l'obscurité minérale et la lumière céleste. 
Oolong de BiLuXi du printemps 2017
L'eau de source a fait le même chemin de la montagne vers nous. Elle aussi retournera à la montagne sous forme de nuage après s'être évaporée de la mer. Mais avant cela, la réunion de l'eau minérale avec les feuilles de montagne crée une infusion façonnée deux fois par l'homme.

D'abord, il y a le fermier de thé, l'homme de la montagne, celui qui vit dans la durée. Après des mois d'attention à sa plantation, il a cueilli, transformé et séché ces feuilles en l'espace d'un jour et d'une nuit.

Puis vient l'homme pressé, l'homme (ou la femme) de la ville, qui vit dans le stress des multiples tâches du quotidien. Les firmes d'électro-ménager aimeraient lui vendre une machine qui prépare le thé par pression d'un bouton, sans perdre de temps, en quelques secondes. Mais l'homme de la ville résiste encore, car il sent bien que le temps qu'il consacre à la préparation du thé n'est pas perdu. C'est un repos de l'esprit, un éveil des sens, un recentrage sur l'essentiel, une balade en montagne. Après les plaisirs du nez et de la vue, les sensations en bouche font toute leur place à la montagne. On sent la douceur de l'air sur le bout de la langue et sa fraicheur dans le palais. Puis, la salive sourd sous la langue comme une source d'eau. Et un écho lointain résonne au fond de la gorge: en chinois, on l'appelle huigan (retour doux) ou, plus joli, yun (la rime poétique). Le corps ressent la force de la montagne qui s'exprime au travers du thé. Et l'esprit, si on le laisse libre, s'élève vers les sommets silencieux retrouver la beauté harmonieuse de la lumière printanière qui se marie avec la montagne. 
Tant de bonté de la nature et des hommes au temps long mérite d'être appréciée et partagée. Se donner le temps de faire ce voyage intérieur, de voir s'élever son âme, conduit au thé le plus sublime. La beauté jaillit de cet élan vers le sublime. C'est une beauté vivante, en action. Et tout comme cet Oolong est à la jonction de la montagne et du ciel, ce moment de thé est à la fois éphémère et éternel.

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