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Concubine Oolong de Hsin Chu, 2021 |
S'il n'y a qu'une seule mention de thé, l'auteur en fait 10 d'eau (dont 2 celle de Seltz), 5 de tisane, 4 de lait et 2 de bouillon. Il y a aussi 44 mentions de café, soit comme boisson, soit comme lieu de consommation.
Et puisqu'il n'y a qu'une seule mention du mot 'thé' et que cela reste notre boisson favorite sur ce blog, citons le passage au chapitre 10 en entier:
"Virginie, après des hésitations, s'était décidée pour un petit commerce d'épicerie fine, des bonbons, du chocolat, du café, du thé. Lantier lui avait vivement conseillé ce commerce, car il y avait, disait-il, des sommes énormes à gagner dans la friandise."
Commentaire: Dans ce quartier de la Goutte d'Or, les gens sont parmi les plus pauvres de Paris. Certes, il y a 44 mentions de 'café', mais ni les bonbons, ni le chocolat ni le thé apparaissent dans le quotidien des personnages de L'Assommoir. Zola laisse donc entendre que cette boutique finira comme celle de Gervaise, et que Lantier, le premier amant de Gervaise, donne de mauvais conseils. En effet, nous avons vu dans les romans précédents que le thé est l'apanage de la haute bourgeoisie et de la noblesse, mais que le Français moyen du milieu du dix-neuvième siècle en consomme très peu.
Dans la catégorie des boissons alcoolisées, on trouve 34 mentions de marchand de vin, 69 mentions de vin, 4 de vin cacheté, 4 de vin à la française (c'est du vin chaud), 10 mentions de litres comme synonyme de vin, 10 mentions de canon, une mention de chopine (bouteille de vin), une mention de pichenet (vin de mauvaise qualité), une mention de l'expression 'boire un coup', une mention de tournée générale et 2 mentions de bière.
On trouve aussi beaucoup d'alcools forts dans ce roman. 23 mentions d'eau-de-vie, 14 de vitriol (alcool très fort de mauvaise qualité), 13 mentions de boire la goutte (au sens d'alcool fort), 7 mentions d'anisette, 5 de cassis, 5 de prune, 4 de liqueur, 3 de rhum, 3 de cric (mauvais alcool fort en argot, vieilli), 2 d'absinthe, 2 d'alcool, 2 de schnick (alcool fort de qualité inférieure), une mention de vermouth, une mention rogome (liqueur forte en langage populaire, vieilli). Zola utilise aussi des expressions imagées: 3 fois il parle de casse-poitrine, 2 fois de tord-boyau, une fois de chien tout pur, une fois de cochonnerie et une fois de brûlot.
En effet, l'histoire s'articule autour de ce passage de la consommation de vin à celle d'alcools forts. Au chapitre 2, Coupeau (le futur mari de Gervaise) explique qu'il ne touche pas aux eaux-de-vie, car son père, "zingueur comme lui, s'était écrabouillé la tête sur le pavé de la rue Coquenard, en tombant, un jour de ribote, de la gouttière du numéro 25 ; et ce souvenir, dans la famille, les rendait tous sages. (...) il aurait plutôt bu l'eau du ruisseau que d'avaler un canon gratis chez le marchand de vin."
Au chapitre 4, "Un jour, pourtant, il était rentré gris. Alors, Madame Goujet, pour tout reproche, l'avait mis en face d'un portrait de son père, une mauvaise peinture cachée pieusement au fond d'une commode. Et, depuis cette leçon, Goujet ne buvait plus qu'à sa suffisance, sans haine pourtant contre le vin, car le vin est nécessaire à l'ouvrier."
Zola est donc loin de prôner l'abstinence. Le vin est la boisson populaire et on en boit de nombreux litres aux fêtes. Au chapitre 6, "elle voulut rire, le coucher, comme elle faisait les jours où il avait le vin bon enfant.", mais ce jour-là "il leva le poing sur elle", car il avait "le vitriol de l'Assommoir dans le sang empoisonné".
A la fin du chapitre 4, Zola continue dans la même veine: "Autrefois, on avait bien raison de le blaguer, attendu qu'un verre de vin n'a jamais tué un homme. Mais il se tapait la poitrine en se faisant un honneur de ne boire que du vin ; toujours du vin, jamais de l'eau-de-vie ; le vin prolongeait l'existence, n'indisposait pas, ne soûlait pas. Pourtant, à plusieurs reprises, après des journées de désœuvrement, passées de chantier en chantier, de cabaret en cabaret, il était rentré éméché."
Commentaire: Zola montre que l'accident de Coupeau lui a fait perdre l'habitude de travailler. Son oisiveté est source de vice: elle le met sur la mauvaise pente de la consommation excessive d'alcool. Cela commença par le vin, mais la consommation de liqueurs fortes devient de plus en plus fréquente.
Au chapitre 10, "Il redevenait gentil, depuis qu'il buvait de la tisane et qu'il ne pouvait plus laisser son cœur sur les comptoirs des mastroquets."
Commentaire: Zola montre que si les alcools forts rendent Coupeau violent et méchant, le sevrage le rend gentil à nouveau. Zola laisse poindre un espoir de rémission. Mais pas pour le couple principal de l'histoire.
Au chapitre 12, Zola écrit: "Plantée devant l'Assommoir, Gervaise songeait. Si elle avait eu deux sous, elle serait entrée boire la goutte. Peut-être qu'une goutte lui aurait coupé la faim. Ah! elle en avait bu des gouttes! Ça lui semblait bien bon tout de même. Et, de loin, elle contemplait la machine à soûler, en sentant que son malheur venait de là, et en faisant le rêve de s'achever avec de l'eau-de-vie, le jour où elle aurait de quoi."
Commentaire: La descente aux enfers est si totale que la pauvreté impose la sobriété à Gervaise, mais son état est si misérable que l'alcool est sa seule issue. Remarquons en passant que l'eau-de-vie devrait s'appeler eau-de-mort, car elle désire mourir d'ivresse.
Le dénouement touche d'abord Coupeau au chapitre 13 et le responsable de sa mort ne fait aucun doute : "C'était le vitriol de l'Assommoir qui donnait là-bas des coups de pioche. Le corps entier en était saucé, et dame ! il fallait que ce travail s'achevât, émiettant, emportant Coupeau, dans le tremblement général et continu de toute la carcasse.
Les médecins s'en étaient allés. Au bout d'une heure, Gervaise, restée avec l'interne, répéta à voix basse:
- Monsieur, monsieur, il est mort..."
Une page plus loin, c'est au tour de Gervaise. Mais elle ne fut pas chanceuse. Sa mort ne fut pas aussi rapide que celle de son mari. "Dès qu'elle possédait quatre sous, elle buvait et battait les murs. (...) La mort devait la prendre petit à petit, morceau par morceau, en la traînant ainsi jusqu'au bout dans la sacré existence qu'elle s'était faite. Même, on ne sut jamais au juste de quoi elle était morte. On parla d'un froid et chaud. Mais la vérité était qu'elle s'en allait de misère, des ordures et des fatigue de sa vie gâtée."
Commentaire: Le lecteur retient surtout le rôle de l'alcool dans la déchéance et la mort affreuse de ces deux personnages. Rarement un roman n'a fait autant pour combattre un fléau de la société. Je me suis sens dégoûté de prendre une cuite, que ce soit au vin ou avec une liqueur.
Le meilleur remède que je connaisse pour se passer d'alcool n'est pas la tisane, mais le thé et surtout le Oolong torréfié. Ses arômes ont quelque chose de capiteux, de complexe et de stimulant. Mais au lieu d'embrumer l'esprit, le thé le clarifie. Même la couleur de cet Oolong ressemble à celui d'un Cognac ou d'un whisky!
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Concubine Oolong de Hsin Chu, 2021 |
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