Monday, August 31, 2020

Dernier hommage

Aimer le thé, ce n'est pas en disserter, mais c'est surtout le déguster régulièrement et en faire une part de sa vie. A chaque saison, à chaque ambiance, à chaque sentiment correspond un thé particulier (plutôt qu'un thé choisi au hasard) qui va nous mettre en harmonie avec nos sentiments les plus intimes. Voici comment le thé peut devenir ce compagnon du quotidien, ce breuvage qui exprime avec ses arômes ce que nos paroles ont parfois du mal à dire. 
C'est notamment le cas pour le décès d'un proche et son deuil. Ce proche dont il est question ici, vous le connaissez tous au travers de ses calligraphies. Elles sont présentes sur chaque étiquette que j'imprime pour mes sachets de thé. C'est aussi lui qui a réalisé les calligraphies devant lesquelles je prépare mes thés dans mon coin de véranda:
Il est mon beau-père et il s'est éteint il y a 2 semaines. Octogénaire, son départ de la vie fut rapide et sans douleurs. Telle est ma consolation d'avoir perdu celui qui m'offrit ce qu'il avait de plus innocent et de précieux, la main de son unique fille. 
La semaine dernière, j'avais fait un premier Chaxi de deuil et de recueillement en dégustant un Dong Ding Oolong fortement torréfié de 1979. Mais après la cérémonie de crémation et le transport des cendres dans un temple au sommet d'une jolie petite montagne, j'ai éprouvé le besoin de l'honorer une fois de plus. Cette fois, je choisis ce puerh cru des années 1950 et je pris ma théière lion d'Yixing du règne de Qianlong. C'est la même théière que j'avais utilisée pour faire du thé à mon grand-père maternel. D'ailleurs, je lui avais aussi fait du vieux puerh cru! Or, mon grand-père allemand et mon beau-père chinois s'entendaient très bien malgré la barrière linguistique. Mon beau-père avait appris la Lorelei de Heine dans sa jeunesse, et à chacune de leurs rencontres ils chantaient ce poème ensemble! D'ailleurs, je crois les entendre chanter quand l'eau crépite dans la bouilloire...
A moins que ce ne soit les arômes complexes du puerh qui fassent remonter ces souvenirs dans ma mémoire. Avec ses odeurs de vieux bois, de grimoire, le puerh ancien capture mieux que tout autre thé l'odeur du temps qui passe. Et après 70 ans, il est tellement affiné que son goût est d'une pureté incroyable.  
C'est la pureté à laquelle aspire l'âme au moment de quitter la vie. On la ressent dans le silence des cathédrales, face à l'immensité de la mer ou à l'écoute de l'Agnus Dei ou de Miserere. Cette même pureté retentit dans la cloche du moine bouddhiste lors de ses prières. Et si cette pureté de l'âme devait être un goût, ce serait le goût d'un tel puerh. Voilà pourquoi il fascine tant, surtout quand il s'harmonise si bien avec nos sentiments.

Dans ce Chaxi, le pin représente la vie éternelle. La jarre en étain est vieille et cabossée. Ce sont les coups qu'on prend durant notre vie. Les assiettes qinghua de la dynastie Qing ajoutent la dimension temporelle pour donner de la profondeur à une longue vie. Et les coupes de David Louveau, inspirées de la dynastie Yuan, concentrent 2 principes auxquels mon beau-père tenait beaucoup: l'importance des amitiés et la gratitude pour ce que nous avons reçu de nos ancêtres.


Son nom était 'pays en paix' car il était né en période de guerre. A Taiwan, il a pu oeuvrer pour cette paix et il a pris 'harmonie en paix' pour signer ses calligraphies. Que ce Chaxi et cet article lui rendent hommage, à ma façon. 
 
Merci. 

1 comment:

Francine said...

Très émue par ton bel hommage... Voici une pensée profonde signée Jean d'O:"Il y a quelque chose de plus fort que la mort, c'est la présence des absents dans la mémoire des vivants". A pensée avec toi et ta famille