Tuesday, July 20, 2021

Le thé, l'incompris des séries et de la littérature en Chine


La plupart des séries chinoises télé se passent dans la Chine impériale d'avant 1911, durant des dynasties diverses. La plus célèbre des dynasties classiques pour son intrigue est sans doute celle des '3 Royaumes' (220-280) qui a donné naissance à l'un des canons de la littérature chinoise du même nom. Mais les dynasties Han, Tang, Sung, Ming et Qing sont aussi souvent portées à l'écran. Et parfois, pour des fictions ou des séries de gongfu fantastique, la dynastie n'est pas vraiment définie. L'avantage pour les créateurs de ces histoires campées dans les temps anciens, est de pouvoir échapper à la censure du parti communiste. En effet, comme celui-ci n'y existait pas encore, il n'est pas nécessaire d'y faire référence et de le glorifier.

Story of Yanxi Palace, une rare réussite 
Je ne suis pas un spectateur assidu de ces séries, mais comme elles sont divertissantes et parfois très esthétiques, il m'arrive d'en regarder des bribes, surtout quand on y voit les protagonistes préparer du thé.

2 choses me frappent. Le thé est de plus en plus présent dans ces séries. Et secondo, les anachronismes sont plus que nombreux, presque systématiques. Il est très rare que la manière de préparer le thé corresponde fidèlement à la réalité de l'époque. Les erreurs les plus grossières sont l'emploi de petites théières pour préparer le thé dans les dynasties Ming ou antérieures (or les petites théières ne datent que de la dynastie Qing, 1644-1911). Ou bien de voir le thé en feuilles dans les dynasties antérieures aux Ming. Ou bien de voir des accessoires du commerce d'aujourd'hui dans des scènes de la dynastie Qing...

The Flame's Daughter, Aie, cette bouilloire moderne!

Pourquoi ces anachronismes?
Avant d'envisager un complot, il faut toujours envisage l'ignorance, comme disait Michel Rocard. Et puis, c'est aussi difficile de trouver des accessoires qui imitent fidèlement la réalité des temps très anciens, surtout avec des petits budgets. Pour les Ming et le Qing, on a plus de facilité à trouver des accessoires identiques, et c'est pourquoi les anachronismes sont moins évidents aux yeux des amateurs débutants.

Mais si l'on devait chercher une explication moins innocente, je dirais que si l'on voit parfois des bouilloires, des jarres neuves, c'est souvent de la publicité déguisée. Ce sont des placements de produits similaires à ceux que font les grandes marques dans les films de James Bong (quand il conduit la dernière BMW ou bien visionne une vidéo sur un iPad...). Ce genre de pub se fait beaucoup dans les séries chinoises pour la télé.

Mon autre explication, est qu'il y a un désir de promouvoir le thé comme une activité sociale très distinguée. La connaissance du thé s'accompagne inévitablement d'un grand respect pour ce personnage dans la série. Il démontre ainsi qu'il a plusieurs cordes à son arc. La maitrise du thé, la possession d'accessoires de qualité et de feuilles renommées ajoutent au prestige social du personnage dans l'intrigue. C'est aussi une pub déguisée pour le thé et, avec ses 1,4 milliards d'habitants, cela explique pourquoi les meilleurs thés et accessoires deviennent de plus en plus chers en Chine.

De plus, la pratique du thé chinois est aussi une manière de respecter les traditions ancestrales. Cette explication est peut-être un peu capillotractée, mais, en montrant que le thé n'évolue pas depuis mille ans, ce qui est faux, il y a peut-être aussi un message politique conservateur, opposé au changement...

Même dans les livres de Jin Yong (1924-2018), écrivain de HongKong, il y a des anachronismes. Jin Yong est le grand auteur de cape et d'épée chinois. La traduction de 'Tian Long Ba Bu' s'est achevée récemment et vous trouverez cette histoire en 5 tomes aux Editions You Feng. Je vous recommande sa lecture distrayante à la plage cet été. L'histoire se passe durant la dynastie des Song (960-1279) quand le thé était vert, en poudre et fouetté dans des bols noirs et bu dans ces bols. Malgré ce fait historique, page 263 du tome 5, on peut lire: "Des tables à thé sont disposés en rangs, portant chacune un gaiwan de porcelaine blanche aux dessins bleus". A la page suivante: "Il prend la tasse, ôte le couvercle et renverse le thé ainsi que les feuilles dans sa bouche." Il ne s'agit donc pas de thé vert en poudre, mais de feuilles entières. Passons sur le fait que le personnage (originaire de Tufan) ingère aussi les feuilles, on voit que la préparation est telle qu'on la rencontre encore de nos jours. Or, si on a trouvé quelques porcelaines blanches avec du bleu durant la dynastie Tang (618-907), ce n'est qu'à partir des Yuan (1271-1368) que ce style se répand en Chine. Et le gaiwan n'apparait comment instrument pour préparer le thé que chez les Ming (1368-1644).

Pour Jin Yong, je pense que cette erreur historique provient soit de l'ignorance de l'histoire du thé, soit d'un désir de ne pas rendre la lecture de son roman trop ardue en expliquant comment le thé était fait autrefois. En effet, son récit a beaucoup de rythme et ses descriptions sont rares et brèves.
Gaiwan qinghua, rouge, vert et doré sur la couverte avec décoration de 'grains de riz' translucides

Le meilleur roman classique chinois qui parle avec exactitude du thé, quand il en est question, est Hong Long Meng, le rêve dans le pavillon rouge, de Cao Xueqin. Mais ce chef d'oeuvre du milieu du XVIIIème  siècle est d'un tel niveau que même ses exégètes se trompent quand il s'agit d'expliquer les références au thé et aux accessoires de thé contenus dans ce livre. Il faut savoir que Cao Xueqin fait parti de la famille qui fabriquait les vêtements de l'empereur. Il a fréquenté la cour et est donc très au fait de ce qui se fait de mieux dans la Chine de son époque pour le divertissement des élites. Les références dans ce livre complexe, foisannant de personnages, sont souvent difficiles à comprendre et à interpréter. Aussi, le Hongxue désigne l'étude de ce livre exceptionnel de la littérature chinoise. Or, selon notre étude avec Teaparker, la plupart des explications actuelles sur les thés ou accessoires mentionnés dans ce livre sont inexactes! 

Le thé est donc trop simplifié dans les oeuvres modernes, ou bien il est trop complexe et insasissable dans les oeuvres anciennes, même pour les Chinois! Sa connaissance (ou son ignorance) est donc effectivement un vrai marqueur social en Chine. Il y a les savants, les ignorants et, pire que les ignorants, ceux qui croient savoir et ne tiennent leur savoir que de ce qu'ils ont vu dans les séries actuelles!
Concubine Oolong de Shan Lin Xi, 2020

No comments: