Monday, November 21, 2022

Le thé dans Sodome et Gomorrhe, de Marcel Proust

Le 18 novembre marqua le centenaire de la mort de Marcel Proust, mort à mon âge, 51 ans. A cette occasion, je continue mon étude du mot 'thé' dans La Recherche. Vous pouvez retrouver mon étude dans Du Côté de chez Swann, A l'Ombre des Jeunes Filles en Fleur, et Le côté de Guermantes dans ces liens. C'est au tour de Sodome et Gomorrhe de nous livrer ses secrets!

Il y quelques mois, je lus dans un article de Jarrod Hayes intitulé 'Proust in the Tearoom' que le mot thé aurait des connotations sexuelles et notamment gay. Pour cet auteur, 'prendre le thé' signifierait 'copuler, notamment entre homosexuels.'. 

Voyons voir si cette thèse tient la route alors que Marcel Proust dédie une grande partie de ce quatrième tome de la Recherche à l'homosexualité. En effet, le livre commence par le narrateur épiant le baron Charlus en pleins ébats avec un domestique, et il finit par la quasi confirmation qu'Albertine a des penchants lesbiens! Ainsi, alors qu'il était surtout question de l'amour de Swann pour Odette, de l'attirance du narrateur aux jeunes filles, puis à la comtesse de Guermantes dans les 3 tomes précédents, ce long livre de 570 pages est surtout consacré aux relations homosexuelles comme son titre (Sodome et Gomorrhe) l'indique. 

Or, si dans les trois premiers livres nous avions 22, 20 et 16 mentions du mot 'thé' ou 'tea', dans celui-ci, il n'y en a plus que trois! Il semblerait donc que ce lien secret entre thé et homosexualité soit plus imaginaire que réel! Voyons donc le détail de ces 3 mentions:

Page 220 (selon l'édition du Livre de Poche)

"Et c'était vrai, car préférer Mme Swann c'était montrer qu'on était intelligent, comme d'aller au concert au lieu d'aller à un thé."

Commentatire: Le thé est une activité sociale des gens de la haute société, comme nous avons pu le voir dans les trois tomes précédents. Cette phrase ne contient pas d'allusion sexuelle, mais remarque simplement qu'assister à un concert de musique est une activité qui demande plus de concentration et de raffinement que d'aller boire du thé et écouter ou commenter les dernières nouvelles.  

Page 278

"Il finissait à peine son récit que, suivie de sa belle-fille et d'un monsieur très cérémonieux, s'avança vers moi la marquise, arrivant probablement d'une matinée ou d'un thé dans le voisinage et toute voûtée sous le poids moins de la vieillesse que de la foule d'objets de luxe dont elle croyait plus aimable et plus digne de son rang d'être recouverte afin de paraitre le plus "habillé" possible aux gens qu'elle venait voir."

Commentatire: Le 'thé' est à nouveau employé dans son acception sociale de moment de rencontre. Mais comme cela concerne la vielle marquise, il n'y a aucune allusion saphique! Par contre, on admirera la prose de Proust et sa manière de raconter toute une histoire en l'espace d'une phrase.


Page 507

"Les grandes portes vitrées de la salle à manger et de ce hall en forme de couloir qui servait pour les thés, étaient ouvertes de plain-pied avec les pelouses dorées par le soleil et desquelles le vaste restaurant lumineux semblait faire partie."

Commentatire: Le narrateur et Albertine retounent à Rivebelle, dans un restaurant dont une description similaire a déjà été faite dans Les Jeunes Filles en Fleur. Il s'agit donc d'une séquence nostalgique, avec un écho du passé, comme on en trouve beaucoup dans La Recherche (voir l'épisode de la madeleine).


Conclusion: aucune des rares mentions du mot 'thé' dans ce livre ne fait allusions au thème de l'homosexualité, présent dans cet ouvrage. Et pourtant, Proust y fait souvent des allusions cachées et très humoristiques!

Pusique nous n'avons pas eu grand chose à mettre dans notre théière, je vous propose de finir cet article avec un trait d'esprit de l'auteur tel qu'on en trouve à presque toutes les pages:

Page 596: "Car il y a une chose plus difficile encore que de s'astreindre à un régime, c'est de ne pas l'imposer aux autres."

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