Sunday, December 21, 2008

La langue des dégustateurs

Vous avez été nombreux à trouver intéressants ces parallèles entre l'apprentissage du vin et celui du thé. Aussi, je vous propose de continuer un peu à nous inspirer du vin pour mieux parler du thé. Ce n'est pas simple du tout de mettre des mots sur toutes les sensations que procure la dégustation d'une coupe, fut-elle le fruit de la vigne ou du Camelia Sinensis. Et pourtant, savoir en parler est essentiel si on veut communiquer, faire partager son plaisir avec les autres et avec soi-même. Car même dans le silence d'une dégustation solitaire, on est là à essayer de trouver les mots qui traduisent le mieux notre ressenti. Cette étape de formulation verbale va également nous aider à mettre ce breuvage en mémoire. Mais où trouver les bons mots?

La chance du français, c'est que nous pouvons puiser dans une riche culture vinicole et littéraire. Des auteurs dégustateurs nous parlent de leurs plaisirs de bouche depuis des siècles. Et ce fort bon ouvrage, ci-contre, de Martine Coutier, passe en revu près de 800 mots liés à la dégustation du vin. La grande majorité de ses termes pourraient très bien s'utiliser dans la dégustation des thés d'Asie. On n'a pas besoin de devenir sinologue pour apprécier et bien décrire un thé.

Ce livre aide aussi à mieux comprendre quels registres de vocabulaires sont à la disposition du dégustateur:
- percéptions visuelles (facile dans notre ère télévisuelle),
- percéptions olfactives: on compare alors à toutes les odeurs que l'on connait,
- percéptions gustatives: Difficile. On a recours aux métaphores:
* tactiles (moelleux, aride, satiné...)
* spatiales et temporelles (rond, massif, long...)
* anthropomorphiques: le breuvage devient une personne (agréable, maigre, tonique, bavard, charmeur, généreux...)

Avec le vin, on profite de l'effet de l'alcool qui est de nous déshiniber, de nous délier la langue. Le risque est de se faire emporter par la poésie et le pathos pour perdre l'approche rationnelle et objective de nos perceptions. Avec le thé, le risque est plutôt de rester trop analytique et froid dans ses descriptions. Le langage du vin peut nous donner des pistes pour y mettre plus d'émotions et plus de vécu personnel.

Une petit truc qui m'est venu en lisant ce livre, c'est de se demander des questions comme: Et si ce thé était un personnage de film? L'Oolong de Dong Ding de haute torréfaction serait plutôt viril et chaleureux comme Jean Gabin. Et si c'était une conversation? Avec l'Oriental Beauty, nous parlerions d'amour, avec le Da Yu Ling Oolong d'alpinisme... Et si c'était un moment de la journée ou de l'année, une voiture ou même un vin?! En procédant à des associations nombreuses, on pourra arriver, par tatonnements, à mieux cerner le caractère de son breuvage.

6 comments:

Francine said...

Ca alors, moi aussi quand je ne parviens pas à mettre de mots sur les saveurs, j'essaie de comparer les thés à un personnage, une situation, un sentiment, un mot de la langue française, ...

Soïwatter said...

Bavard! Tiens, je ne l'ai jamais utilisé celui-là, mais à y repenser, je connais quelques thés qui le méritent bien, ce qualificatif, en particulier chez les thés des rochers!

Anonymous said...

Je réalise que j'ai rédigé un petit mot, suite au post concernant la description de certain thés par un maître de chai, qui aurait probablement eu sa place ici ...
Il est intéressant également de chercher à comparer le breuvage à une ou des couleurs, ainsi qu'à des sonorités ou des musiques, voire essayer d'en faire une représentation graphique colorée !!Qu'en dites-vous ?

Hélène

TeaMasters said...

Hélène,
Chacun a une sensibilité différente et exprime ou ressent des émotions complexes d'une manière différente. Il n'y a pas de limite à notre créativité. Tant que l'émotion est sincère, on peut tout. Et cela montre (en plus du Cha Xi) que le thé est un formidable vecteur artistique.

Anonymous said...

Moi qui viens d'écrire un article ou je me désespère de mon nez, voilà qui m'ouvre de nouvelles perspectives...

VanessaV said...

Fabuleux! Et puis ces personnages, de quoi me donner plein d'idées pour subjectiver mes dégustations, avant de savoir déguster les bons thés et d'être vraiment une amatrice éclairée.