Et quand je lis la phrase claire ci-dessus, j'ai l'impression qu'il fait référence au Chaxi, cette recréation d'un monde à nous où s'exprime l'énergie du thé!
Par exemple, pour ce viel Oolong de la compétition de Mingjian (Nantou) du printemps 1992, quelques grammes offerts par mon fermier, j'ai créé ce Chaxi aux couleurs sombres. Il s'agit d'un Oolong torréfié au style de Wuyi et conservé sans nouvelle torréfaction depuis 1992 dans un sachet plastique dans sa boite d'origine.
Je retrouve dans ce thé les caractéristiques des Oolongs âgés qu'on a laissé évoluer sans les retorréfier. Les odeurs et le goût sont en harmonie et se fondent l'un dans l'autre, alors que pour un jeune Oolong torréfié on sent toujours bien les arômes des feuilles et les arômes de la torréfaction de manière distincte. Ici, pour ces feuilles qui furent assez fortement torréfiées, ces odeurs ont disparu. On pourrait dire que les senteurs de la torréfaction sont inexistantes, vides, mais que l'énergie, la charpente, la structure en goût est toujours là. On a donc ce paradoxe de vide et de plein, de pureté, légerté d'où surgit la puissance et l'harmonie en bouche.
C'est un peu pareil avec les coupes en porcelaine sur ce sombre Chaxi. On s'attendrait à une infusion très sombre (style puerh cuit), mais on est surpris par la couleur relativement vive du thé. On sent que la fraicheur, la jeunesse de ces feuilles fut bien préservée.
Pour François Cheng, "en Chine, l'art et l'art de la vie ne font qu'un. Dans cette optique, la pensée esthétique chinoise envisage le beau toujours en relation avec le vrai." Boire du thé en créant un Chaxi est bien un art de vivre qui tend vers le beau et cherche à exprime une vérité profonde, le vrai arôme des feuilles. Tout doit être mis en oeuvre pour exprimer le caractère des feuilles (choisir une théière et des coupes adaptées, une eau bouillante pure...) Et pour l'infusion, le principe est simple: remplir de feuilles les endroits qui sont vides dans la théière! L'idéal est que les feuilles de Oolong occupent également tout l'espace dans la théière!
Huichong (965-1017) Pair of mandarin ducks on an autumn bank |
Dans une peinture occidentale, tout l'arrière-plan serait peint et derrière les canards on verrait un paysage et un ciel avec des nuages. Mais pour le peintre chinois, c'est à partir de ce vide qu'il crée le sol, ces plantes et ces animaux. Comme il y puise sa force créatrice, il n'épuise pas le vide, mais en garde pour suggérer un état d'âme, de l'harmonie et une tension entre ce qu'on voit et ce qu'on imagine.
"Vide et plein" de François Cheng est un ouvrage qui nous offre une clé puissante pour apprécier l'art chinois de la peinture. Je le recommande vivement à tous ceux qui veulent aller plus loin dans la compréhension de ces concepts chinois fondamentaux.
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