Tuesday, September 04, 2018

La rentrée des goûts et des couleurs

A l'heure de la rentrée scolaire, on pourrait se demander pourquoi on n'enseigne pas le (bon) goût à nos bambins. Est-ce l'expression française "on ne discute pas des goûts et des couleurs" qui nous rend récalcitrant à creer ce genre de cours? Ou bien est-ce le niveau de l'enseignement le plus basique (lire, écrire et compter) qui est si bas qu'on ne veut pas surcharger l'emploi du temps des enfants, alors qu'on ne compte pas le temps qu'ils passent devant les écrans?... Pourtant, le goût est un enjeu essentiel dans notre monde actuel. Nos sociétés occidentales sont passées des privations et rationnements d'après guerre à la surabondance de nourriture grâce à une agriculture productiviste qui a su produire beaucoup et peu cher, mais avec des conséquences néfastes sur l'environnement et la qualité gustative des produits. La solution au problème gustatif fut d'ajouter du sucre, du gras, du sel, des arômes artificiels ou de frire les aliments pour les rendre plus appétissants. La grande majorité des aliments industriels et de restauration rapide suivent ce modèle dont l'avantage est de nourrir la population à bas coût. Mais l'inconvénient est que cette mal bouffe conduit à des problèmes de santé (surpoids, diabète...) si on n'y prend pas garde.
La pauvreté extrème dans le monde est passée de 37.1% de la population en 1990 à 12.7% en 2012 (source: World Bank). Malgré cette amélioration, il est encore beaucoup trop tôt pour interdire le modèle productiviste, car une grande part de la population n'a pas encore les moyens de mieux se nourrir. Aussi, la solution à ce stade intermédiaire est de passer par le désir du bon goût pour réapprendre à nos papilles les délices des arômes complètement naturels.

Hung Shui Oolong d'Alishan
Le thé peut jouer un rôle éducatif dans cet apprentissage. En effet, comme toutes les plantes récoltées, le thé a connu tous les excès du modèle industriel: engrais chimiques, pesticides, désherbants d'un côté, et arômes artificiels, sucre, lait... de l'autre pour compenser la mauvaise qualité des feuilles. Ainsi, les sachets de thé aromatisés sont au thé ce qu'un burger/frites est à la gastronomie!

Insister pour boire le thé nature, simplement infusé d'eau, est en soi un acte révolutionnaire. C'est un retour à la nature, au naturel. Dans une salade, avec de la vinaigrette, on a plus de mal à goûter au vrai goût de la tomate, mais lorsqu'on n'a que 2 ingrédients du thé et de l'eau, alors on est nécessairement plus sensible à tous les arômes du thé. Et l'on redevient plus exigeant avec la qualité des feuilles si l'on veut passer de la satisfaction d'un besoin (la soif) au plaisir.
L'idée centrale du gongfu cha, le thé infusée à la manière de Chinois de Chaozhou depuis la dynastie Qing (1644-1911), est justement de privilégier la qualité sur la quantité. C'est pourquoi ils n'utilisent que des petites théières et des petites coupes. Infusées de nombreuses fois avec de l'eau juste bouillante, la qualité des feuilles a un impact considérable sur les arômes. Sans sucre ni lait qui gomment les différences et aplanissent le goût, on reconnait plus aisément les différents types de théiers (qingxin, jinxuan, sijichun...), leur provenance, leur degré d'oxydation, voire même leur saison de récolte et leur âge. Et la base de tout apprentissage, c'est de connaitre les classiques et de pratiquer/réviser régulièrement.
Comme pour le vin, le fournisseur idéal n'est pas un supermarché ou la boutique duty free d'un aéroport asiatique, mais l'équivalent des cavistes, ces petites boutiques de thé naturel tenues par des passionnés comme tea-masters.com! Vous y trouvez des thés d'entrée de gamme à petits prix:
- du SiJiChun (Oolong 4 saisons) récolté à la machine et très frais pour seulement 12 USD les 150 gr,
- sa version torréfiée au charbon de bois (3.5 USD les 25 gr),
- du Jinxuan Oolong d'Alishan de printemps (4.8 USD les 25 gr)
- du Qingxin Oolong d'Alishan de printemps (8.4 USD les 25 gr)
- du Wenshan Baozhong de printemps (6.5 USD les 25 gr)
- du puerh cru en galette de 2003 (6.95 USD les 25 gr)
Récolte de printemps de Qingxin Oolong à Alishan
Mais vous y trouverez aussi des thés de très haute qualité et quasiment introuvables en Occident car ils sont produits en faibles quantités et sont relativement onéreux (mais bien meilleur marché que les grands vins!). Quelques exemples parmi les plus réputés:
- Oolongs de Da Yu Ling ou de FuShou shan, les montagnes les plus hautes et réputées de Taiwan,
- du Oolong torréfié de Dong Ding jeune ou âgé.
- de la Beauté Orientale de 2000,
- du Wenshan Baozhong semi-sauvage,
- du thé vert BiLuoChun de Jiangsu (Chine),
- du puerh cru sauvage de vieux théiers du Yunnan de 2017 et 2018,
- du puerh cru Luyin du début des années 1990
etc...
Faisan de Swinhoe dans les montagnes de la ferme de Wuling
Personnellement, c'est la pratique du thé qui m'a fait passer le goût du coca! Mes papilles sont devenues bien plus exigeantes pour toute mon alimentation. La pureté des sensations est devenue primordiale. La recherche du bon goût dans ma pratique du thé s'accompagne aussi d'une recherche de la bonne couleur en harmonie avec le caractère de chaque thé. Si les couleurs classiques chinoises vous intéressent, je vous recommande cet article en chinois. Il montre comment les couleurs des costumes de cette série historique télé se retrouvent dans la peinture classique chinoise. (Il n'est pas nécessaire de lire le chinois pour voir ces correspondances).

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