Monday, October 06, 2025

Les boissons dans La joie de vivre, d'Emile Zola


La joie de vivre est un titre qu'il faut prendre de manière ironique. La vie de Pauline, la fille orpheline des Quenu du Ventre de Paris, n'est pas très joyeuse. C'est bien plus un roman sur la douleur, la mort et la peur de la mort. La famille Chanteau qui recueille Pauline vit chichement au bord de la mer, en Normandie. Un chien, Matthieu, et une chatte, Minouche, tiennent compagnie à cette famille qui vit de manière monotone et dilapide bêtement la fortune de la jeune fille. Les boissons non alcoolisées domines avec 45 mentions, puis viennent les alcools, 27 mentions et les boissons médicinales, 8 mentions. 

Dans ce roman où Chanteau, le maire du village, ne dispose que de maigres revenus, il n'est pas étonnant que l'eau soit la boisson la plus mentionnée (14 fois). Elle est soit trouble, chaude, de guimauve, de mer (1 fois), soit de gruau, sucré (2 fois) ou eau tout court (6 fois). En seconde position, nous trouvons le thé avec 13 mentions, puis le vin avec 11 mentions, à jeu égal avec le lait si l'on compte les 4 mentions de café au lait qui sont aussi les seules mentions de café dans le roman. Puis, nous avons 6 mentions d'eau-de-vie, dont 2 dans un contexte médical. Puis, nous avons 4 mentions de calvados, 3 mentions de quinquina, 2 mentions de liqueurs et 2 de Bourgogne, 1 de chartreuse et 1 de curaçao. Toutes les autres boissons ne sont mentionnées qu'une fois: morceau de biscuit, morphine, potion, brou de noix, bouillon, tisane, poison, laudanum, tilleul. Et il y a 2 boissons métaphoriques: la volupté de ses souvenirs et l'argent. 

Jinxuan Oolong d'Alishan, 5 avril 2025

Commençons donc par l'analyse de ces métaphores.

Chapitre VIII


"C'était un vieux gant oublié par Louise, et qu'il venait de retrouver derrière une pile de livres. Le gant, en peau de Saxe, avait gardé une odeur forte, cette odeur de fauve particulière, que le parfum préféré de la jeune fille, l'héliotrope, adoucissait d'une pointe vanillée; et, très impressionnable aux senteurs, violemment troublé par ce mélange de fleur et de chair, il était resté éperdu, le gant sur la bouche, buvant la volupté de ses souvenirs."

Commentaire: Ce moment est très proustien! Mais au lieu d'une madeleine qui rappelle l'enfance, les odeurs de ce gant rappellent la volupté de certains souvenirs. La connexion entre odeurs et souvenirs est bien établie dans les romans français de cette époque.

Chapitre XI

"- Non, je sais elle passerait, mon eau-de-vie! Je veux bien te donner un pain, et encore je suis sûre que vous allez le vendre pour en boire l'argent..."

Commentaire: C'est le dilemme auquel on fait face quand un mendiant alcoolique vous demande de l'argent. Il risque de dépenser cet argent en alcool. Lui offrir à manger n'est pas vraiment la solution, puisque cela lui permet de dépenser son argent en alcool au lieu de nourriture. Mais 'boire l'argent' reprend aussi l'un des sujets du livre: comment les Chanteau ont englouti la fortune de Pauline, avec les investissements infructueux du fils, Lazare. 

Passons maintenant aux mentions de thé. 

Chapitre I

"Dis ma mignonne, veux-tu une tasse de thé bien chaud? Et puis, nous irons nous coucher.

(...) Nous la réveillerons pour qu'elle prenne son thé, et nous la coucherons.

(...) Justement, Véronique apportait le thé. Un long silence tomba, les tasses restèrent vides.

(...) - Le thé va être froid, maman, dit Lazare en lâchant enfin sa plume. Je le verse, n'est-ce pas?

(...) Mais, ayant senti le thé dans son sommeil, Mathieu s'était secoué et avait de nouveau posé sa grosse tête au bord de la table.

(...) De crainte que l'enfant ne se rendormît, madame Chanteau lui fit boire son thé tout de suite."

Commentaire: Pauline vient d'arriver chez le Chanteau. Il est tard et elle tombe de fatigue, mais madame Chanteau insiste pour qu'elle boive une tasse avant d'aller se coucher. Le thé est mentionné 6 fois dans cette seule scène d'introduction du roman et a donc une signification pour l'histoire. Le thé permet de situer la position sociale de la famille Chanteau, car c'est un code de l'aristocratie que la bourgeoisie copie avec d'autant plus de ferveur qu'elle est pauvre et veut soigner les apparences. Le fait d'avoir une domestique qui fait la cuisine et sert le thé montre que les Chanteau font leur possible pour maintenir un certain standing. Le thé consommé est certainement de piètre qualité. En effet, s'il est bu avant le coucher sans peur d'insomnie, c'est qu'il est probablement très léger, préparé avec peu de feuilles et infusé de nombreuses fois durant la journée. L'autre indice est la peur qu'il devienne froid. En effet, les thés de basse qualité perdent tout intérêt froid.

Chapitre II


On pleura, on se baisa autour de la table. Puis, pendant que Véronique servait le thé et que Pauline appelait Mathieu, qui aboyait dans la cour, madame Chanteau ajouta, en s'essuyant les yeux:

- C'est une grande consolation, elle a le cœur sur la main.

"La joie fut encore augmentée par l'arrivée imprévue du docteur Cazenove. Il venait de panser un pêcheur, qui s'était écrasé les doigts sous un bateau; et on le retint, on le força à boire une tasse de thé. La grande nouvelle ne parut pas le surprendre. Seulement, lorsqu'il entendit les Chanteau s'exalter sur l'exploitation des algues, il regarda Pauline d'un air inquiet, il murmura,

- Sans doute, l'idée est ingénieuse, on peut faire un essai. Mais avoir des rentes, c'est encore plus solide. A votre place, je voudrais être tout de suite heureux, dans mon coin..."

 Commentaire: Dans ces deux moments clé de l'histoire, on retrouve le thé. Notons que les mauvaises décisions ne se prennent pas toutes prises sous l'influence néfaste de l'alcool. Même avec du thé, on peut suivre ses mauvais penchants et risquer un argent qui ne vous appartient pas, mais appartient à la petite Pauline. Le docteur essaie de l'avertir du danger pour ses finances, mais il n'ose en dire plus.

Chapitre V

Souvent, Véronique entrait, promenant la vaisselle ou apportait le thé, et elle s'attardait, elle écoutait, se permettait même parfois d'intervenir.

(...) Et il se faisait un silence pendant que Louise servait le thé.

Commentaire: Le déclin de la famille est visible dans cette servante qui se permet d'intervenir dans les conversations de la famille et dans le fait que le thé ne suffit pas à dégeler l'atmosphère dans la maison.

Chapitre VII

"Lorsqu'elle servit le thé, Véronique annonça que la maison des Houtelard et cinq autres étaient déjà par terre ; cette fois, la moitié du village y resterait."


"Tout d'un coup, vers neuf heures, comme on venait de servir le thé, Pauline s'écria:

- Mais le voilà, ce pauvre Mathieu!"

Commentaire: Les choses empirent et le thé n'apporte que peu de consolation. Il y a d'abord la catastrophe naturelle liée à une mer en furie, puis le chien qui agonise de vieillesse. Le contraste entre la mort et la joie de vivre et de boire du thé est extrême.

Chapitre IX

"Lorsque le thé fut servi, il laissa simplement échapper un gros soupir de satisfaction."

Commentaire: Cette fois-ci, la satisfaction est au rendez-vous du thé. Avec cette dernière mention du thé, on remarque que, pour les Chanteau, le thé n'est pas un prétexte de rendez-vous avec des gens de même rang. Plus terre à terre, le médecin et le curé les rejoignent chaque semaine pour un repas copieux! Mais, le thé joue quand même un rôle social en rythmant leurs journées oisives, financées par leurs maigres rentes issues d'un capital placé à 4 pour cent.


Dans ce roman de la douleur, les boissons médicinales sont nombreuses (8 mentions), mais il faudrait aussi ajouter 2 mentions d'eau-de-vie lors de l'accouchement de Louise. Zola est très critique de l'alcoolisme dans son œuvre, mais ici, l'eau-de-vie va littéralement mériter son nom et sauver le bébé de Louise, grâce aux soins de Pauline.


Et voici la vidéo de cet article:

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