Friday, October 20, 2023

Observer la porcelaine qinghua de la dynastie Ming

Assiette qinghua de la dynastie Ming, règne Jiajing (1522-1566), NPM

Ces deux premières porcelaines font parties de la collection du Musée du Palais National de Taiwan (branche du sud). Elles proviennent donc des trésors des empereurs Chinois que le parti nationaliste de Chiang Kai-Shek a caché pour qu'ils ne tombent pas dans les mains de l'occupant Japonais, puis qu'il a envoyé à Taiwan afin qu'ils ne tombent pas dans les mains du parti communiste chinois! Cette histoire d'art vagabond est l'une des plus palpitantes de l'histoire de l'art du vingtième siècle! Mais concentrons-nous plutôt sur la dynastie Ming et sa production de porcelaine. 

L'Europe avait entendu parlé de la Chine par l'intermédiaire de Marco Polo qui y aurait mis les pieds entre 1271 et 1295, du temps de l'empire Mongol, la dynastie Yuan (1279-1368). Voyageant par les routes de la soie, il n'a pas pu ramener beaucoup d'objets de Chine. Ainsi, il n'y a qu'une jarre associée à Marco Polo et elle est conservée à la basilique Saint Marc à Venise. C'est donc surtout par ses histoires grandioses que Marco Polo a fait connaitre la Chine aux Européens.

Il faut attendre près de trois siècles pour que l'Europe arrive en Chine par voie maritime, suite au premier tour du monde de l'expédition de Magellan. Cette fois-ci, les bateaux permettent un commerce plus important et le transport de marchandises plus lourdes que la soie! Or, imaginez le choc que la porcelaine des Ming dut représenter aux marchands Européens! C'est comme si on montrait un iPhone de dernière génération à des gens qui ne connaissent que le télégraphe! Il n'est donc pas étonnant que ces bateaux reviennent avec de larges cargaisons de bols, d'assiettes, de vases... en porcelaine (forcément chinoise)!

Coupe qinghua de la dynastie Ming,  règne Jiajing (1522-1566), NPM

Mais l'art chinois de la porcelaine est subtil et évolutif. Il faut d'abord faire la différence entre les 'Guan Yao', les fours officiels pour la cour de l'empereur et les 'Min Yao', les fours du peuple. Les premiers rassemblent les meilleurs artisans de chaque génération et sont supervisés par des mandarins affectés par la cour pour y contrôler la qualité. Les seconds sont des entreprises commerciales qui produisent pour répondre à la demande intérieure et, de plus en plus, à la nouvelle demande internationale. Ces fours privés peuvent donc également produire de la qualité supérieure, mais ils produisent surtout des pièces bon marché pour la population chinoise.

La porcelaine Ming connait un âge d'or et les exports seront d'abord des pièces de très grande qualité. Le commerce avec la Chine profitait d'une anomalie financière. Vers 1560, la parité entre l'or et l'argent était de 1 pour 11 en Europe, mais de 1 pour 4 en Chine! L'Europe utilisa donc beaucoup le métal argent pour acheter "l'or blanc", la porcelaine de Chine. 

Par contre, la vers la fin de la dynastie Ming, la qualité baissa tandis que le nombre de pièces exportées augmenta. On n'exporte plus seulement la porcelaine fine et très blanche de Jingdezhen, mais aussi de la porcelaine produite dans la région maritime de Zhangzhou. En 1602, tandis que les matériaux se raréfient, une révolte des céramistes de Jingdezhen aboutira même à la destruction des fours impériaux!

La jarre suivante, de ma collection, provient justement de cette période fin Ming. Je vous propose de l'observer et de vous expliquer des détails intéressants.


Que remarquons-nous?

1. Ces petits 'trous' dans l'émail sont des rétractions de l'émail durant la cuisson. Ce sont des petits défauts techniques assez courants sur les porcelaines antiques. Cela nous permet de constater que la porcelaine utilisée n'est pas très blanche, mais plutôt grise. Cette jarre ne provient donc sûrement pas de Jingdezhen, mais plutôt d'un lieu de production de qualité inférieure.

2. On voit  distinctement là où l'artisan a posé son pinceau pour dessiner. Ainsi, on constate que le cercle bleu a été peint vers la gauche. Sa technique de peinture est moins bonne que pour l'assiette, car il est plus difficile de voir l'endroit où le cercle commence sur la pièce impériale. 

3. Ce point noir dans l'émail est une impureté (de l'oxyde de fer) qui remonta à la surface. Ce genre de défaut est aussi relativement courant pour les porcelaines antiques. Leur présence n'est pas un gage d'authenticité, mais leur absence doit être regardée avec un œil soupçonneux!

4. Durant la dynastie Ming, la mode voulait qu'on fasse deux lignes circulaires au pied, au col et parfois  entre les deux pour délimiter les extrémités de la pièce en porcelaine. Durant la dynastie Qing qui suivit, on ne traça plus qu'une seule ligne habituellement. Cependant, cette règle générale comptait de nombreuses exceptions. Il est plus intéressant de noter que ces lignes créent un cadre et donc un espace sur la porcelaine. Le peintre peut ainsi créer deux thèmes différents sur une même œuvre!

5. La décoration bleu sur blanc sait aussi jouer avec la concentration de la couleur bleue. Le contraste avec le blanc peut être léger pour les tiges fines, ou bien important pour souligner certaines formes. C'est une technique similaire à l'écriture chinoise en noir sur blanc qui joue avec les dégradés.

6. L'émail ne brille pas très fort sur cette pièce. C'est normal pour une pièce antique. 

Il y a encore plein d'autres choses à voir et à découvrir sur cette jarre! Mais chaque chose en son temps. Ce weekend, je vous parlerai du Oolong de la très haute montagne de FuShou Shan! Bon weekend!

PS: Je serai en Alsace pour les fêtes de fin d'année (du 26 décembre au 4 janvier). Contactez-moi si vous voulez que j'organise un stage de thé ou une journée dégustation.

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