Tuesday, December 26, 2006

Le gongfu cha est-il élitaire?

C'est un reproche ou un commentaire que j'entends parfois en Occident. Pour simplifier, il y aurait le thé aromatisé (plus ou moins) artificiellement bon marché vendu au plus grand nombre d'un côté, et les thés chinois et japonais, préparés lors de cérémonie compliquées, voire spirituelles, de l'autre. De plus, les pratiquants de gongfu cha parlent un langage qui emprunte beaucoup au chinois ou au japonais. Cela crée un jargon qui établit comme une barrière pour les non initiés. Exemple: "Le hungpei de mon Oolong de Dong Ding est sublime. Des aromes de miel et de pêche se dégagent de mon zhong. Le huigan est immédiat et le yun n'en finit pas..."

Examinons cette question d'un point de vue asiatique. L'histoire du thé en Chine est difficilement dissociable de celle des empereurs chinois. Boire du thé devint vite un de leurs divertissements favoris. Durant les dyansties Tang (thé bouilli) et Song (thé vert en poudre fouété), la préparation du thé était somme toute fastidieuse et véritablement réservée à la noblesse et aux riches marchands.

Il est donc intéressant de remarquer que c'est l'empereur Hongwu (premier empereur de la dynastie Ming), issu de la paysannerie, qui interdit le thé compressé. De part ses origines modestes, il voulait rendre le thé accessible au plus grand nombre. Ce fut chose faite, car le thé fut désormais simplement infusé à partir des feuilles en vrac.

Ainsi, dans la Chine du sud, le thé en gongfu cha est pratiqué par toutes les classes sociales. Durant les années 1970, les citadins taiwanais ont même boudé le thé, jugé trop commun et ringard à l'époque. Heureusement, la culture et la pratique du gongfu cha ont su se renouveller et trouver un second souffle à Taiwan. Au Japon, par contre, la pratique du thé vert battu avec un chasen (fouet en bambou) dans un bol remonte à la dynastie Sung, et continue d'être l'apanage de l'élite du pays.

Le gongfucha à Taiwan et dans le sud de la Chine dépasse en popularité le vin en France. Presque tout le monde en boit. Bien sûr, comme pour le vin, les plus fortunés achètent des thés plus chers, souvent meilleurs, mais pas forcément. En effet, contrairement au vin, il est presque impossible de classifier les thés chinois aussi rigoureusement. Il en suit que le prix du thé n'est pas autant corrélé à sa qualité intrinsèque que le vin. Il y a même une étrange solidarité ou connivence entre les vrais amateurs de thé et certains fermiers/marchands traditionnels: certains thés ne sont pas vendus au plus offrant, mais au plus connaisseur. Plus vous montrez que vous appréciez et que vous vous connaissez en thé, meilleur le thé qu'on vous proposera, et les prix ne seront pas spécialement plus élevés. Et s'ils le sont, un tel marchand aura été heureux de vous en faire boire quelques tasses gratuitement, juste pour le plaisir de vous voir apprécier ce qu'il a de meilleur.

Le gongfu cha n'est pas une cérémonie de thé faite avec pour but d'épater la galerie. Cela est parfois le cas, notamment quand vous en voyez une pour la première fois. Mais ce n'est pas le but premier. Le but est tout simple: obtenir le meilleur résultat possible avec le thé et les ustensiles qu'on a à sa disposition. On pratique autant le gongfu cha pour ses amis, invités que pour soi-même.

Notons aussi que l'équipement de base, une théière ou un zhong, une tasse et de l'eau chaude, est accessible à tous. Les possibilités de raffinement sont infinies, mais elles importent moins que le thé qu'on utilise.

En buvant un sachet de thé rouge avec du sucre et du lait dans un restaurant italien hier soir, je me suis dit que cette façon de le préparer est aussi une forme de gongfu cha. Sans sucre et lait, ce thé était imbuvable! Les occidentaux savent (plus ou moins) comment préparer le thé rouge (aussi appelé 'noir' par ceux qui ne connaissent pas le puerh cuit) en sachet bon marché. Faire l'apprentissage des techniques pour réussir les autres thés chinois demande un petit effort supplémentaire. C'est un peu comme apprendre à préchauffer son four pour faire une tarte, quelle vaisselle utiliser selon qu'on mange des escargots, une soupe ou des huitres ou bien combien de temps cuire ses nouilles pour qu'elles soient al dente.

L'apprentissage de ces connaissances, de cette culture du thé chinois fait de vous des privilégiés en Occident car vous y êtes encore peu nombreux. Pratiqué avec passion et avec goût, on peut presque trouver tout les plaisirs dans le gongfu cha. Mais, à la base, cela reste une activité populaire, accessible à tous.

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