Avertissement aux âmes sensibles: thé rare et porcelaine fragile!
Ces feuilles sont du Shui Xian de WuYi, un vrai Yan Cha. Disons-le tout de suite, le Yan Cha est ce qui se fait de meilleur dans la famille des Oolongs. Je le dis avec d'autant plus d'assurance que je n'en vends pratiquement pas dans ma boutique. La raison est double et logique: il est très, très cher et aussi très rare. Son prix est se compte en multiples de 3, 5 voire 10 de celui du Da Yu Ling! Bref, il faut être un peu toqué ou blindé aux as pour en acheter. N'appartenant pas à cette seconde catégorie, je préfère l'euphémisme de passionné!
D'un autre côté, je sais être très économe avec mes Yan Cha. J'en bois
(trop) rarement. Souvent, il me suffit de sentir l'odeur des feuilles
dans leur jarre en porcelaine pour me donner ces super sensations d'une
nature minérale, fleurie et ensoleillée. Je les garde pour les grandes
occasions, quand j'ai du temps devant moi et des bons accessoires pour les réussir. Mon autre
excuse raison est de m'éduquer mon palais: savoir à quoi ressemble la perfection pour mieux savoir comment reconnaitre et sélectionner de bons Hung Shui Oolongs. Ceux-ci n'ont pas les mêmes odeurs de terroir et de cultivar, mais ils partagent cet équilibre entre la fraicheur des arômes originels et le feu de la torréaction.
Il ne suffit pas d'avoir des feuilles excellentes. Si j'ai appris quelque chose pendant ces 12 dernières années sur la voie du thé, c'est que le théière, bouilloire et coupes ne sont pas accessoires! Ma théière est en zhuni d'Yixing et date des années 1980. Sa forme est petite, simple, tout en rondeur. Elle ne paie pas de mine et ressemble à des milliers d'autres si on la regarde de loin. Mais sa terre zhuni est particulièrement pure et dure. Ses infusions sont nettes et puissantes, mais avec une profondeur qu'on ne trouve même pas dans celles en argent. Elle fait des merveilles avec le Yan Cha!
Quant à la tetsubin, j'en ai testé des dizaines avant de m'arrêter sur celle-ci. Elle n'a pas de pédigré particulier, pas de sceau personnel, pas de décoration ou d'incrustation en or. Elle a juste deux fins traits en argent sur son anse, du côté droit. Celui qui manie la tetsubin ne les voit pas (s'il est droitier). Mais ses invités les voient: avec elle, la beauté est donc un cadeau qu'on fait à ceux qu'on invite boire du thé!
La beauté, on la retrouve partout sur ce Chaxi. Cela commence par les tissus et l'utilisation de petites assiettes anciennes pour les feuilles, la théière et les coupes. Mais revenons à ce dernier objet en porcelaine, essentiel et personnel. Il contient l'infusion, on le tient dans sa main pour le porter à sa bouche. Quoi de plus intime que la coupe qu'on pose sur ses lèvres!
"Pour trouver son prince, il faut embrasser de nombreux crapauds!" C'est un peu pareil pour trouver une bonne coupe. Chacune donne des sensations différentes. Sa forme, sa texture, sa couleur, son épaisseur, son émaille... tout a un impact et change, parfois peu, parfois énormément, le goût et les senteurs du thé. J'ai eu la chance (ou la malchance) de faire il y a assez longtemps l'expérience d'un goût particulièrement doux, sucré et concentré avec cette coupe en porcelaine:
C'est une coupe en porcelaine du four de DeHua, dans le Fujian. Sa particularité est qu'elle fut faite à la main avec cette porcelaine couleur ivoire et qu'on y a inscrit la calligraphie 'Cha' de manière très subtile et élégante. Et, si je l'ai mise devant ma jarre de la dynastie Ming, c'est car cette coupe provient de cette même époque (fin Ming/début Qing)! J'avais pu goûter à ses propriétés il y a 10 ans environ, et cherchais à en acquérir depuis. Je m'étais presque résigné à ne jamais en avoir quand l'occasion se présenta, il y a quelques mois, d'en acquérir deux.
Quand on illumine l'intérieur de la coupe, la calligraphie apparait:
Sur l'une d'entre elles, sur l'autre côté de la paroi, on devine un autre caractère, celui de l'alcool! Le sens est clair: dans ces coupes, le thé devient du vin!
Le dessous des coupes n'est pas émaillé. On peut y toucher la porcelaine brute. J'adore leur douceur, leur petite taille. Elles ont des petits défauts, ne sont pas rondes, mais un peu ovales, l'une est plus fine que l'autre... Et surtout, elles sont si douces au contact des lèvres! Le bon Yan Cha y est encore meilleur! (Et non, je n'en ai pas d'autres à vendre! Par contre, je recommande mes
coupes aux 2 dragons et perle. Elles viennent aussi de Dehua, mais sont plus récentes et mon alternative à ces coupes anciennes).
C'est en plein soleil qu'on apprécie mieux la douceur et la couleur lactée de la porcelaine de Dehua. On est loin de la froideur des porcelaines modernes! Ici, c'est le dos d'une autre pièce majeure, contemporaine de ces coupes, qui a rejointe ma collection. Ces coupes sont un vieux rêve qui se réalise. Un rêve de pureté et de perfection. Il forme un tout avec le Yan Cha, la zhuni et la tetsubin.
Mais l'aventure ne s'arrête pas là. A l'image de cette autre porcelaine de Dehua, il y a toujours de nouvelles découvertes! Mais, plus important, et cela nous concerne tous, on ne finit jamais de pouvoir améliorer sa technique d'infusion. Même avec les meilleurs instruments, certaines infusions sont meilleures que d'autres. L'essentiel, finalement, ce ne sont pas les accessoires, mais bien notre connaissance, notre amour du thé qui se traduit en gestes justes!
Mise à jour le 19 mars: Voici les feuilles ouvertes de ce Shui Xian: