Un bon thé est la rencontre d'un bon sol, d'une bonne météo et d'un savoir-faire humain. Dans le nord de Taiwan, on a le Baozhong, autour de Hsin Chu la Beauté Orientale, près de Lugu, le Oolong de Dong Ding torréfié et sur les plus hautes montagnes les Gao Shan Cha. Chaque fois qu'un producteur d'une région essaie de copier exactement le thé d'une autre région, il produira un thé d'une qualité inférieure à l'original. Ce n'est que lorsqu'il arrive à utiliser les caractéristiques de sa région à son avantage que son thé deviendra intéressant. Un exemple récent dans mon blog est le
Guei Fei Cha, le thé de la Concubine de Feng Huang. Ce n'est pas une simple copie de Beauté Orientale (comme on en trouve aussi autour de Lugu), mais plutôt un Dong Ding d'été amélioré grâce à une méthode de plantation inspirée de ce qui se fait pour la Beauté Orientale.
J'ai aujourd'hui le plaisir de vous parler d'une autre innovation de thé à Taiwan. Il s'agit d'un thé rouge de la Côte Est de Taiwan. Commençons donc par un peu de géographie: Taiwan est une ile très montagneuse avec un long massif qui s'étend pratiquement du nord au sud et qui coupe l'ile en deux. A l'ouest, faisant face à la Chine, on a une assez large plaine qui regroupe environ 90% de la population et pratiquement toutes les industries. A l'est, face au Pacifique, la zone habitable est bien plus restreinte, si bien que cette zone est bien moins développée et donc plus sauvage.
Il y a d'ailleurs aussi une raison climatique à cela: 99% des typhons viennent balayer Taiwan d'est en ouest.
Celui que nous attendons demain est un bon exemple. C'est donc la Côte Est la plus touchée par les pluies et les vents. La chaine de montagne au centre -elle monte jusqu'à près de 4000 m- absorbe ensuite le gros des tempêtes, si bien que l'Ouest du pays est plutôt épargné.
La seule véritable 'industrie' sur la Côte Est est le tourisme, car
les paysages y sont vraiment fantastiques. La première fois que j'y suis allé, j'étais tellement sous le charme que j'ai eu envie de m'installer là-bas pour ma retraite!
Voyons comment ce thé rouge (qu'on appelle noir en Europe) convient très bien à la Côte Est. Il est fait à base du théier Da Yeh (grande feuille) Oolong, un théier taiwanais qui résiste bien aux conditions difficiles de Hua Lien. De plus, comme les terrains ne sont pas grands, il ne s'agit pas d'y faire du thé de plaine récolté mécaniquement et bon marché comme à Mingjian. Au contraire, les planteurs ont eu la bonne idée d'en faire un thé de qualité. Comment? Justement, en utilisant l'atout de la Côte est: ses terrains montagneux (entre 600 et 1000 mètres) et sa nature luxuriante.
Les plantations n'utilisent pas de pesticides afin de favoriser la multiplication des Jacobiasca formosana Paoli, ces mêmes petits criquets qui mordent la Beauté Orientale et le Guei Fei. Ils jouent le même rôle pour développer des arômes intenses de manière naturelle. C'est une technique 'bio' de mieux en mieux maitrisée à Taiwan (l'exemple du Guei Fei ci-dessus n'était pas pris au hasard). L'oxidation est ensuite poussée à pratiquement 100% afin d'obtenir un thé rouge particulier plutôt qu'une copie de Beauté Orientale. Cette oxidation complète convient aussi mieux à ces feuilles qui ont grandi dans des conditions plus extrèmes.
Les feuilles sèches sont longues et noires. Les bourgeons oranges montrent que l'oxidation est à point (99%).
Ouvertes, on voit que les feuilles sont entières et donc seront moins astringentes que des feuilles coupés. On voit aussi que leur couleur n'est pas complètement rouge, ce qui confirme l'observation sur l'oxidation à point.
La couleur du thé varie en fonction de la profondeur. Sur la cuillère à dégustation, elle est d'un or brillant et pur. Dans la coupe de dégustation, la couleur est rouge, brillante et d'une très bonne transparence.
Les odeurs se rapprochent de celles de la Beauté Orientale, fruitées, mielleuses et intenses. J'y sens les mures, la cannelle, les pommes rouges...
Au niveau du goût, il y a bien un petit côté acidulé et une petite astringence typique du thé rouge, mais elle est plus que compensée par son moelleux et sa rondeur. Tout comme un Oolong, c'est un thé rouge que l'on peut boire sans sucre ni lait. Il a aussi une bonne présence en bouche. Son odeur et son goût sucré persistent longtemps.
Paramètres de dégustation: 4 grammes pendant 5 minutes dans un set de dégustation en porcelaine de 12 cl.
Synthèse de dégustation: Le thé rouge est plus unidimensionnel qu'un Oolong ou qu'un puerh. Cela peut être un peu monotone pour un gongfu cha répété de nombreuses fois. Mais ce thé rouge a de vraies qualités et un registre de notes de fruits rouges qui plairont beaucoup à ceux qui apprécient les thés anglais/indiens et cherchent à se passer de sucre.
Conclusion: la première fois que j'ai goûté à ce thé, on m'avait offert un échantillon de qualité exceptionnelle: les odeurs étaient celles du Chanel numéro 5. Vraiment incroyable. D'ailleurs, bien que tout récent, ce thé s'est déjà distingué à Taiwan en remportant une importante compétition de thé. Avec une bonne combinaision des 3 éléments fondamentaux: le sol, le climat et le savoir-faire, ce thé rouge a tout pour devenir un nouveau classique de Taiwan.