Un milliard de Chinois buveurs de thé sont progressivement en train de découvrir le puerh. Cela fait beaucoup de demande et l'impact sur le prix de ce thé commence à s'en faire ressentir, parfois avec des variations vraiment considérables. Il est certain que de nombreux professionels utilisent cet argument pour stimuler la demande encore davantage. La montée des prix génère de la curiosité et un petit vent de panique inflationiste d'acheter avant qu'il ne soit trop tard. En plus, comme soi-disant ce thé devient meilleur avec l'âge, alors il n'y a pas un moment un perdre. Et à voir certains stocks de puerh 'dévalisés' de certains revendeurs, le phénomène prend vraiment une grande ampleur.
Afin de mieux comprendre les fluctuations du marché du puerh, certains ont recours au prix du Mao Cha, c'est à dire le prix des feuilles de thé du Yunnan non compressées. Certains prix semblent circuler dans le domaine public, et c'est sûrement mieux de partir de là que de nul part. Cependant, le thé est un produit bien plus compliqué que le soja, le blé ou tout autre produit agricole. Il existe de très nombreux grades de puerh (10 + les bourgeons), des différences dans les crus (montagnes), dans le process, dans les saisons, l'âge des théiers... Comparer deux prix cités par des sources différentes, c'est comparer des oranges et des bananes.
Ce n'est que pour le puerh de plantation de plaine, c'est à dire 'de masse', qu'on peut vraiment comparer et analyser les prix de cette manière. Mais là aussi, il faut bien tenir compte des grades. En effet, les petits bourgeons de puerh de plaine sont aussi les feuilles les plus chères. Comme c'est inversement proportionnel au poids (les feuilles les plus petites sont les plus chères) on obtient rapidement de très grands écarts de prix au kg selon le grade des feuilles.
L'autre limitation de cette logique, c'est que l'on parle de prix de gros de produits de masse d'un côté et de prix de détail de galettes spécifiques. Pour prendre un exemple dans le vin, le fait de savoir que le prix garanti par Bruxelles
d'un hectolitre de vin est de 3 euros par degré d'alcool pour 1 AOC (0.28 euros les 75 cl!) ne nous dit pas combien une bouteille de cru Chateau Chasse-Spleen devrait coûter. Et une baisse des prix planchers (en période de surproduction) ne signifie pas pour autant que les Moutons et autres Lafite et Latour vont baisser en prix. C'est d'ailleurs le contraire qui se produit d'habitude! Le vin bas de gamme baisse en prix et le haut de gamme augmente lorsque la qualité est au rendez-vous. Mais on peut aussi voir certains grands crus baisser en prix lorsque leur qualité (ou leurs critiques) devient mauvaise, même si les prix des AOC sont stables.
Lorsque les Chinois étaient tous pratiquement également pauvres, le prix domestique des puerhs était assez comparable. Mais avec la libéralisation de l'économie, la demande devient de plus en plus variée et les consommateurs ont les moyens financiers de devenir de plus en plus exigeants. Comme pour le vin, ils se détournent (ou se détourneront) du vin (thé) de table pour demander de l'AOC, puis des grands crus. Un produit de masse (comme le puerh de plantation de plaine) ne peut pas coûter plus qu'un bon oolong de montagne de Formose. La qualité ne le justifie pas. Par contre, un excellent puerh sauvage pourra valoir plus qu'un Gao Shan Cha, à mon avis.
Voilà un peu pour la théorie. Qu'en est-il de la pratique? Ces derniers mois, j'ai eu l'occasion d'acheter divers puerhs à des vendeurs de Taiwan et sur le Net pour mieux comprendre ce qu'on trouve sur le marché.
Je suis d'abord tombé sur cette galette aux grandes feuilles sauvages d'une montagne inconnue (Kun Lu Shan ou bien montagne de la route perdue). C'était la galette la plus chère de ce fabriquant, plus chère même que ses galettes des montagnes classiques (Yiwu, Yibang, Nannuo...)! Dans ces conditions, elle ne semblait pas faite d'un mélange de feuilles de qualités et d'origines différentes. Mais en la testant chez moi, j'ai remarqué qu'on avait abusé de feu de bois pour sécher ces feuilles. L'odeur de cigarette sucrée est bien trop présente pour être agréable, même si la persistance en bouche est assez longue. Les feuilles sont pas mal, mais le résultat est trop fumé.
Sur le net, chez 2 revendeurs différents, j'ai acheté 3 galettes sauvages ou vieux arbres. (Je ne cite pas les galettes ni les revendeurs pour ne pas leur faire de tort). Une galette semblait particulièrement prometteuse: j'avais pu goûter chez Teaparker un excellent puerh fait par le même producteur d'une petite région d'Yunnan. L'emballage était le même... mais la firme était différente! Je m'en suis aperçu après la dégustation chez moi, avant de montrer la galette à Teaparker. Les feuilles viennent bien de la même région, mais sont de qualité moindre et le process de fabrication emploie le séchage au four au lieu du séchage au soleil. Après infusion, les feuilles apparaissent plus vertes que celles séchées au soleil. Cela donne un thé presque 'vert', sans aucune odeur de fumée ou de cigarette. Infusé léger, c'est buvable et l'odeur disparait en deux secondes. Infusé plus longuement, seule persiste une astringence jeune et inconfortable. Le rapport qualité/prix est correct, mais ce vendeur m'avait assuré que ce thé fut séché au soleil et il n'a pas non plus réagi lorsque je lui ai dit que cette galette était une copie. Sa seconde galette était censée provenir de vieux théiers. Mais j'y remarquai aussi des feuilles de plantation de plaine... (et pareil, séchage au four).
Chez un second vendeur, j'ai acheté une de ses galettes faite avec des feuilles sauvages de toute première qualité de Lincang du printemps 2006(!), selon lui. La galette est pressée à la machine et un certain soin semble bien avoir été apporté à sa production. Par contre, le dessus est clairement différent de ce qui est dans la galette. Elle n'est pas purement sauvage, et est donc un mélange d'origines et d'élévation différentes. (C'est un peu comme si on vous vendait du Da Yu Ling, mais le paquet n'en contient qu'un faible pourcentage et le reste est du Oolong Si Ji Chun de plaine.) Et pour cette galette aussi, le séchage est au four, les feuilles sont vertes et vous finissez par le sentir attaquer votre estomac. L'odeur est assez sympa, très fraiche, mais elle disparait très rapidement après avoir avalé le thé.
Cela me fait penser que j'ai aussi acheté une autre galette sauvage semblable à Taiwan récemment. Le séchage au four pour les rendre buvables rapidement semble être une mode dans le puerh, un peu comme on oxide les oolongs de moins en moins. Personnellement, à choisir entre de tels puerhs et un Si Ji Chun Oolong sans longueur, je penche plutôt pour le Si Ji Chun, mais cela se discute. Par contre, j'ai eu l'occasion d'acheter de tels puerhs il y a plus de deux ans déjà, sous forme de galette ou de mao cha. Mon expérience m'a montré que ces puerhs vieillissent mal. En apparence, ils noircissent rapidement (surtout le mao cha qui est en contact avec plus d'air), mais la fraicheur disparait et ne se transforme pas en bien. Et comme ils n'ont pas de longueur en bouche, il y en aura encore moins avec l'âge.
Pour en revenir à la valeur d'un puerh, celle-ci est pour moi fonction du plaisir que j'ai à le boire et le temps que dure ce plaisir. Un vrai puerh sauvage comme ma galette d'Yiwu de 2003 a des odeurs fruitées et chaudes superbes qui restent en bouche pendant plus de 5 minutes. Comparé à ces galettes 'vertes' dont la fragrance disparait en moins de 5 secondes, elle vaut, pour moi, au moins 60 fois plus rien que par sa durée. Et que dire du plaisir!