Pour bien comprendre n'importe quel art ancien, on se tourne en premier vers les musées (prestigieux) aux meilleures
collections. Pour l'art chinois, le Musée du Palais National de Taipei
est d'habitude la référence, car il contient les trésors de la Cité
Interdite. Or, si l'on y trouve très peu de théières Yixing, c'est car
elles étaient entreposées dans les cuisines et n'étaient pas considérées
comme des oeuvres d'art, mais des accessoires quotidiens. C'est
pourquoi, l'armée nationaliste n'a pas jugé important de les protéger des armées nippones, puis communistes. Aussi, on les trouve dans la collection de Pékin et non dans le musée de Taiwan. Ainsi, le livre ci-dessus est consacré à cette collection et nous montre 80 théières (dont 3 paires) de la dynastie Qing. C'est un peu comme la bible de tout amateur de théière Yixing. Leur étude permet de discerner la différence entre l'ancien et le neuf, par exemple.
Pour ce qui est des prix de vieilles théières, on fait comme pour le marché de l'art. On consulte les prix des salles d'enchères
comme celle-ci, par exemple. Mais on se doit d'exercer beaucoup de prudence, car les imitations sont particulièrement nombreuses dans le marché des théières. (Note: cela atteint un tel point que de nombreux acheteurs préfèrent payer très cher pour des pièces modernes -et laides!- de maitres encore en vie, car ceux-ci donnent un certificat d'origine!)
Mais revenons plutôt aux théières impériales! Je me suis amusé à compter celles en duanni, glaise jaunâtre. On en trouve 16 (sur 80). -Les plus nombreuses sont les zisha pourpres (leur comptage est plus difficile, car la couleur de certaines est parfois incertaines avec l'âge.)
On trouve aussi 9 théières Yixing avec une anse au-dessus de la théière, dont 4 duanni avec une telle anse (voir la photo ci-contre). Ce genre d'anse s'appelle 'Ti Liang' en chinois. De nos jours, on en fait très peu, car elles sont plus difficiles à réaliser et cuire. Sur les photos, on pourrait penser que ce sont des grandes théières, mais si fait attention aux dimensions, on remarque qu'elles sont aussi petites que nos théières actuelles!
Pour mon anniversaire qui approche et pour mieux comprendre l'attrait des vieilles théières, je me suis laissé tenter par cette théière ci-dessous. Je lui trouve un charme classique évident.
Sur sa face gauche, on voit représenter 3 formes de sapèques (monnaies anciennes chinoises). On reconnaitra facilement la pièce ronde avec le trou carré au milieu, symbole de l'union du ciel et de la terre.
Il est très probable que cette théière fut commandée par un client fortuné, et que celui-ci demanda la gravure de ces pièces comme symbole de sa richesse. Mais on peut aussi y voir le symbole plus subtil de la valeur, fondée dans l'ancien, donc la culture. Ou bien que toutes les richesses valent le bonheur d'une bonne coupe de thé. Quoiqu'il en soit, j'y trouve une connexion avec ma formation financière et mon intérêt pour la théorie économique. Cette passion est encore plus ancienne que celle du thé! Et avec la crise de l'Euro (et de la plupart des monnaies 'papier'), cette question de la valeur monétaire/financière reste bien présente dans notre vie actuelle.
La seconde face comporte un petit poème de 8 caractères. Ce genre de composition est aussi courant dans la collection du musée de Pékin. Cette face est plus claire, et l'examen du bas de la théière montre que le dégradé de couleur est progressif. Il s'agit donc de l'impact du feu de la cuisson. Cette théière a subi une très haute température et c'est presque un miracle qu'elle ne soit pas cassé. Cela lui donne une personnalité en plus (et la haute température est une bonne chose pour l'infusion du thé).
La marque Wu De Sheng est celle d'une firme qui exista de 1916 à 1939. Elle avait même une filiale au Japon! Son modus operandi était notamment de faire des théières individuelles, à la commande. La calligraphie et le dessin étaient alors réalisés par des artisans différents de celui qui fait la théière. A chacun son savoir-faire!
"Le printemps retourne
Dans notre petit massif montagneux
Le destin nous sourit
Dans un bonheur radieux"
(Ma traduction très libre de ce petit poème.) On y trouve les thèmes chinois et universels du printemps et de la nature. Ressentir ces deux sensations -avec une coupe de thé-, et se représenter ce bonheur, c'est jouir de la vie totalement et infiniment.
La possession ne confère aucune jouissance des sens. Le plaisir vient de son utilisation. Je joue donc aux antiquités (c'est le titre de ce célèbre
tableau Ming) avec cette théière duanni. Je l'utilise avec différents Oolongs et les résultats me surprennent parfois. La différence avec d'autres théières modernes est faible et grande à la fois. Tout dépend de la sensibilité de chacun aux variations du thé. Et cela dépend aussi de la réussite de l'infusion. Une bonne vieille théière n'est pas une garantie.
Mais pour moi, cette théière, digne d'un musée, ajoute autant un plaisir esthétique, culturel que gustatif à mes Cha Xi.