Wednesday, April 02, 2008

Reportage: Puerh cuit

Lecteurs assidus de mon blog, Philippe Coste et Lisa, son amie chinoise, ont commencé des repérages dans le Yunnan pour un futur travail photographique sur le thé. Ils nous proposent ici leurs impressions très personnelles sur les différents endroits qu’ils ont visités au cours des deux voyages qu’ils ont effectués dans le Xishuangbanna ces derniers mois:

"C’est à Menghai, une petite ville située à quelques dizaines de kilomètres à l’ouest de Jinghong, la capitale du Xishuangbanna, qu’a été inventé le thé Pu-erh cuit dans les années 70. Jusqu'à récemment Menghai était le centre principal de la fabrication du thé cuit. Mais avec la fin de l’économie planifiée et la privatisation de la fabrique de thé de Menghai (l’usine historique qui produit la marque Da Yi ), d’autres régions du Yunnan comme Lincang, Lancang, Simao, Dali, Kunming sont désormais très impliquées dans la production de ce thé.
Notre séjour dans cette ville est marqué par la rencontre avec Monsieur W. Des amis nous avaient adressés à lui afin d’aller visiter des usines de thé cuit. Monsieur W a fait des études sur le thé à l’université agricole de Kunming au début des années quatre vingt. A la fin de ses études, il a été envoyé à Menghai, ou pendant un peu plus de 15 ans, il a travaillé pour la fameuse fabrique de thé de Menhai (Da Yi), la première usine de thé cuit. En 1999, malgré sa position de cadre supérieur, il décide de quitter cette compagnie, alors encore société d’état, pour se reconvertir dans le commerce des matériaux de construction. D’un point de vue financier il dit ne pas regretter son choix, car à l’époque Da Yi ne lui versait qu’un salaire mensuel de 500 Yuans ! Aujourd’hui il gagne bien sa vie en vendant de l’acier et du béton. Ironie du sort, depuis quelques années, ses principaux clients sont les propriétaires des nouvelles usines de thé qui fleurissent tout autour de la ville. C ’est d’ailleurs dans cette petite zone « industrielle » à quelques kilomètres du centre ville, où sont déjà installées une dizaine d’usines de thé Pu-erh, que nous nous rendons pour visiter la première usine.

Résultat direct de l’essor fulgurant du marché de ce thé au cours des cinq dernières années, une cinquantaine de nouvelles usines sont en construction.
Monsieur W nous explique qu’il nous emmène visiter l’usine de Ban Zhang Lao Shu car il pense qu’elle est très représentative d’une certaine manière de travailler. L’autre raison c’est qu’il connaît bien le patron et que celui-ci est d’accord pour me laisser faire des photos.
Cette usine a ouvert il y a deux ans seulement. Tout est neuf, tout est propre, mais les infrastructures sont modestes. Monsieur W nous explique que cette usine, comme beaucoup d’autres, fonctionne avec pour objectif principal la rentabilité. Ne possédant pas de plantations leur activité se limite à la transformation de feuille de thé vert en thé cuit. L’achat des feuilles se fait principalement en fonction du prix et non pas en fonction de la meilleure qualité disponible sur le marché. Nous visitons les différents ateliers et Monsieur W nous confirme qu’il trouve leurs méthodes de travail tout à fait correctes. Ici tout est propre et tout est aux normes. Mais pas plus.Très consciencieux sur les méthodes de travail, l’objectif de ce genre d’usines est de produire un thé de bon rapport qualité prix tout en garantissant que la fabrication suit les standards d’hygiène requis par les nouvelles normes gouvernementales.
Le thé cuit est obtenu par post-fermentation des feuilles de Mao Cha (thé vert brut non oxydé). Les feuilles de thé vert sont rassemblées en tas de plusieurs tonnes comme sur la photo ci-dessus. La technique ressemble à celle de la fabrication du compost. On va créer des conditions favorables au développement de certaines bactéries. Les tas sont arrosés d’eau puis recouvert de bâches plastiques pour garder la chaleur issue de la fermentation. L ’art des maitres de fermentations réside tout d’abord dans les mélanges de feuilles que l’on met à fermenter ensemble, mais surtout dans le contrôle de la fermentation. Apres plusieurs semaines, une fois le degré de fermentation recherché obtenu, les tas seront retournés pour aérer les feuilles. On laissera le thé sécher puis les feuilles seront à nouveau triées. Elles seront ensuite souvent stockées en sac pendant de longs mois avant d’être pressées sous différentes formes (galette, tuo cha, brique) ou tout simplement commercialisées en vrac.

Bo You, la deuxième usine que nous avons visitée se trouve de l’autre coté de la ville, dans le quartier des ateliers de séchages de feuilles de thé.
L’usine de Boyou est très différente de celle de Ban Zhang Lao Shu. Malheureusement, je n’ai pas été autorisé à faire de photo en dehors du show room.

Alors que les infrastructures de Ban Zhang Lao Shu sont modestes, chez Boyou on fait dans le luxe. Exception faites du parking, tout le sol de l’usine, des bureaux aux ateliers, est pavé de marbre. La chaine de production est un peu plus mécanisée que chez Ban Zhang Lao Shu.

Monsieur W pense que pour Boyou, avoir une belle usine fait parti d’une stratégie marketing. Si leur usine ne se photographie pas, elle se visite beaucoup. Le marbre est là pour séduire les visiteurs, leur donner confiance sur la propreté et le sérieux de l’établissement.

Il semble d’ailleurs que ça marche! Une haute responsable administrative de la province du Yunnan vient de leur acheter un important stock de thé pour ses cadeaux de fin d’années en leur promettant que, désormais, elle ne se servira que chez eux!

Monsieur W nous explique qu’à ses yeux les infrastructures des deux usines sont tout à fait adaptées pour produire du thé cuit de qualité. Mais Boyou, tout comme Ban Zhang Lao Shu et la grande majorité des petites usines de production de thés cuits, ne possèdent pas de plantations. Ce genre d’usines n’est pas du tout impliqué ni dans la plantation, ni dans la récolte et le séchage des feuilles. Leurs galettes de thé sont produites avec des feuilles qu’ils ont achetées déjà séchées.

Pour monsieur W, les belles infrastructures de chez Boyou fournissent sans doute un meilleur cadre de travail aux ouvriers. Elles ne peuvent pas, à elles seules, être la garantie d’une meilleure qualité. Monsieur W redouble d’arguments afin nous convaincre que la qualité d’un thé ne vient ni du marbre ni des uniformes neuf du personnel, mais bien évidement de la qualité des feuilles utilisées. Il pense d’ailleurs que Boyou achète des feuilles de qualité supérieure à celles de Ban Zhang Lao Shu. Mais il plaisante avec nos hôtes en leur disant que si le thé qu’ils achètent est de mauvaise qualité ou a été séché par terre dans un village au milieu des poules et des cochons, le marbre de l’usine ne le rendra ni meilleur ni plus propre !

Avec la visite de deux usines très différentes, Monsieur W nous a permis de comprendre que si les étapes de fermentation et de conditionnement du thé sont certes très importantes, elles ne fournissent pas à elles seules toutes les garanties de la qualité d’un thé.

Pour monsieur W, le savoir faire n’est pas non plus quelque chose de particulièrement compliqué. Chaque usine développe ses propres recettes, certaines peuvent être très sophistiquées (chez Da Yi on mélange dans une même recette jusqu'à une centaine de feuilles de qualités et d’origines différentes !), mais partout les méthodes de fermentation restent très semblables. Monsieur W se plait à dire que, contrairement à ce que la publicité aimerait nous faire croire, il n’y a pas de grands mystères dans le thé cuit. Il s’agit finalement d’un produit agro-alimentaire comme un autre."

Un grand merci à Philippe pour ce premier article et ses superbes photos!

5 comments:

Anonymous said...

Très bel article, très intéressant.
Il est toujours fort utile de se faire une idée des endroits d'où viennnent nos thés...

Ce que j'imagine qui doit être très marquant lors de ce type de visite, c'est l'odeur qui reigne dans cet entrepôt avec des tonnes de thés...
Je garde un imperrissable souvenirs olfactif de ma visite au jardin Puttabong de Darjeeeling...

THOMAS

Benead said...

L'aspect olfactif doit en effet être mémorable.

C'est un article très intéressant qui nous explique ce qu'on doit savoir sur les pu-ers cuits, ni plus ni moins finalement mais avec des photos qui donnent une idée intéressante de leur façon de faire.

Anonymous said...

De belles photos pour cet instructif article !
Les odeurs doivent être mémorables ... et la température ? dans les salles de fermentation ? Ma question est peut-être "idiote" ...

Hélène

Anonymous said...

Effectivement l'odeur est assez fascinante ! Elle est présente dans toute l'usine, pas seulement dans la salle de fermentation. Elle est évidemment plus forte à coté du tas de thé. C'était une odeur plutôt raffinée, très fleurie, très agréable. J'ai eu du mal à quitter cette pièce pour continuer la visite!
Sinon, la pièce est plutôt bien aérée et la température n'est pas plus élevée qu'ailleurs. Mais ce jour là, il n'y avait qu'un seul petit tas de thé en fermentation (sous la bâche blanche), les autres tas avaient terminés leur fermentation. Ils étaient stockés la pour sécher et s'aérer.

E.R said...

J'ai trouvé cet article particulièrement intéressant, cependant cela signifie aussi que nous pourrions avoir une bien meilleure classification de nos thé ainsi qu'une meilleur qualité. Comme nous l'avons lu dans l'article l'objectif premier est la rentabilité et ils achètent donc des feuilles en fonction du prix et non de la qualité. Même si le procédé de fermentation est bien exécuté, nous y perdons en qualité. Si les acheteurs tout le long de la chaine étaient prêt à payer plus comme je le serai, nous aurions de bien meilleur pu erh, fait avec de bien meilleures feuilles.